Répondu le 19 juin le 24 février 1846
Mes chers parents,
Vous avez vu sans doute par mes précédentes lettres que notre mission des Marquises est tombée à l'eau et que l'on nous retient à Montevideo pour faire partie de la station de la Plata. Vous devez avoir appris par les journaux, je crois même vous l'avoir dit dans une lettre, que l'on devait nous envoyer prendre un fort nommé Peissando qui se trouve sur la rivière, mais les blancs (soldats de Rosas), ayant sans doute su que nous devions faire cette expédition, se sont sauvés et non par conséquent plus rien laissé à faire; enfin, on s'est contenté de nous donner une mission beaucoup plus pacifique, celle de conduire Monsieur Dessodis, baron Dessodis, Ministre plénipotentiaire de Montevideo, visiter le parana, paraguay et uruguay, qui sont trois rivières qui à former la plata dont la largeur est de 40 à 50 lieues. Ces rivières, le paraguay et l'uruguay surtout, sont tout ce qu'on peut imaginer de plus beau. Elles forment une prodigieuse quantité d'îles dans lesquelles les plus beaux, les arbustes couverts de fleurs magnifiques tout habités par des oiseaux aux couleurs admirables et de toute grosseur dont du reste je porterai quelques échantillons en France. Dans ces îles sont quelques dans lesquelles habitent des multitudes innombrables de canards, desquels plusieurs que nous tirons littéralement par centaines. Nous avons vu quelques tigres mais peu féroces. Je vais vous conter une anecdote récente .A ce propos, deux officiers de marine anglais étant allés il y a quelque jours à la chasse se trouvèrent en face d'un tigre. Ils avaient tué deux canards qu'ils se hâtèrent d'offrir en présent au royal animal qui s'en saisit sans dire merci et s'enfuit en les emportant (les canards, non les anglais) . Ceux-ci ont continué fort tranquillement leur chasse. Quand à nous, nous n'en n'avons encore aperçu que du bord.
Il y a quelques jours, étant à la chasse avec deux ou trois officiers, nous fûmes témoins d'un combat qui a duré quatre heures entre les blancs et les Colorados que nous après coup ils étaient environ 6 à 800 cavaliers de part et d'autre cinq ou six mille coups de fusils ont été tirés et le nombre des blessés a été de UN et le blessé était un cheval. Voilà ce que ces braves appellent une bataille.
Je voudrai bien mes chers parents vous continuer mes impressions de voyage mais une goelette venant de Montevideo va y retourner de suite enfin pour que ma lettre parte par le premier courrier je me hâte de la fermer en vous disant que je me porte fort bien et que d'après les nouvelles apportées par la goelette je dois embarquer à notre retour à Montevideo à bord de l'Africaine frégate que monte l'Amiral Lainé.
Je vous écrirai du reste dès notre retour. Ne manquez pas de me donner au plus tôt de vos nouvelles.
Adieu je vous embrasse mille fois de coeur. Adressez mes lettres à bord de l'Africaine à Montevideo rio de Plata par Bordeaux et Marseille. Mille caresses à Mathilde et à toute la famille.