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Institut Catholique

31 rue de la Fonderie

Toulouse                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   19/08/1945

Madame,

                   Je compatis bien à votre douleur et voudrais vous donner quelques indications. C'est malheureusement difficile. Le groupe dont je faisais partie était assez isolé des autres et nous avons quitté Neuengamme pour la Bohème le 12 avril. Nous n'avons donc pas été témoins du drame des bateaux coulés (par les avions. ....ou volontairement, la question ne me paraît pas très claire). Mais le fait est hélas certain. Le petit nombre des rescapés (un bateau sur 4 et qqs centaines parmi ceux qui étaient sur les bateaux coulés) explique sans doute qu'il n'y ait pas encore, du moins à ma connaissance, d'Amicale des Déportés du camp de Neuengamme.

                         Les prêtres travailleurs ont tous quitté le camp fin novembre ou début décembre pour Dachau. Il n'y a jamais eu d'aumônier dans ces camps ni dans ces commandos. On n'a donc pas de listes des détenus à ma connaissance (comme c'est le cas pour Dachau). Les commandos étaient diverses et variables. Je ne sais si quelqu'un en a la liste,c'est peu probable. Je ne pense pas qu'il y en ait eu de libérés par les Russes , mais ceci n'est qu'une opinion.

                                Je n'ai pas connu à Compiegne d'aumônier italien. Peut-être Mgr Théas, évçeque de Montauban, qui y est demeuré jusqu'à la fin ( il est vrai assez chambré ), en saurait-il quelque chose !

                               Si j'arrive à savoir quelque chose de plus, je me ferai un devoir de vous le communiquer. En attendant, je ne puis que prier Dieu avec vous et pour vous.

                               Avec mes religieux sentiments et mes hommages . 

                                                                     BR de Solages

                                                                                                                                                                                                                                  14/11/ 45

 

 Madame,

 

                                  En complément de ma réponse - déjà un peu ancienne à votre lettre, je tiens à vous faire savoir - au cas où vous l'ignoreriez - qu'il s'est fondé une Amicale de Neuengramme 10 rue Leroux, Paris XVI, avec un service de recherche.

                                 Avec mes meilleurs sentiments en Christ.

                                                                            BR de Solages 

 

La Croix St Ouen le 5/1/1946

 

Madame,  Je m'empresse de vous renvoyer la photographie de votre cher mari car je n'ai aucune peine à comprendre tout le prix que vous y attachez. Cette photo, comme aussi les explications que vous me donnez m'aide un peu à fixer mes souvenirs. Dans ma précédente lettre, j'avais en vue un autre prisonnier que le vôtre. Néammoins, je reconnais sur la photo l'image de l'un de ceux qui fréquentaient l'aumônerie et y assistaient presque tous les jours à la Sainte Messe. Nous étions en ce moment là une demi-douzaine de prêtres au Camp mais j'étais seul, à cette époque à avoir, comme aumônier, le privilège d'avoir une petite chambre à ma disposition; et , les exercices religieux étant défendus dans les autres bâtiments, mes confrères dans le sacerdoce y venaient pour y dire leur messe.. On y disait 3 messes en même temps et les prisonniers s'y entassaient le plus possible et y recevaient la Sainte Communion . Votre époux était l'un de ceux dont je me rappelle la figure, mais je ne puis pas affirmer qu'il se soit adressé à moi pour la Confession  . Ils sont trop nombreux ceux que j'ai eu à confesse, sans compter que toutes mes heures libres se passaient à distribuer chapelets, médailles ,livres de prières ou de lecture. Je pouvais, heureusement compter sur le zèle et le dévouement de mes confrères soit pour les Confessions, soit pour assurer la permanence à l'aumônerie dans   les moments où j'étais pris ailleurs .  

Excusez moi, Madame, si je suis incapable d'ajouter  d'autres détails. M'attendant moi-même à partir pour l'Allemagne, et à être fouillé comme tout le monde avant ce départ, je ne pouvais songer à prendre ni messages  ni adresses. Comme je le regrette aujourd'hui que je sais que le plus grand nombre de ceux que j'ai vus à Compiègne ne sont pas revenus des bagnes nazis en Allemagne. A Compiègne, nous n'étions pas trop malheureux. On pouvait se promener sur un vaste terrain en disant son chapelet, on pouvait se réunir par petits groupes pour causer, la nourriture était presque suffisante dans les derniers temps. Mais ce qui gâtait tout, c'était la hantise de faire partie du prochain convoi pour l'Allemagne. Ce départ, on le redoutait, bien qu'on fut loin de se douter des conditions inhumaines qui étaient celles de la majorité des prisonniers politiques là-bas. Les meilleurs parmi eux y ont laissé leur vie car pour racheter le monde, il fallait des victimes pures et sans tâches comme Notre Seigneur lui-même. Comme la Sainte Vierge aux pieds de la Croix, il est naturel que vous vous attendrissiez sur ses souffrances, mais sans oublier cependant le baume qu'apporte cette pensée que votre cher époux jouit maintenant au ciel d'un bonheur sans fin.

                 Veuillez agréer, Madame, l'assurance de mes sentiments qui ne peuvent qu'être profondément respectueux pour l'épouse d'un martyr.

 

                Chanoine Massé   

 

La Croix St Ouen le 25 /01/46         

 

   Bien des fois, en lisant des lettres comme la vôtre, j'ai déploré mon manque de mémoire qui me met dans l'impossibilité de donner une réponse satisfaisante aux épouses, soeurs et autres parents des milliers de prisonniers que j'ai eu l'occasion de fréquenter au Camp de Compiègne. Mais, prisonnier moi-même, exposé à tout instant à être fouillé et à partir pour l'Allemagne, fatigué physiquement mais devant à mon âge de jouir d'une certaine stabilité au Camp , et à cause de celà accepté par les Allemands comme responsable du Culte Catholique au Camp , j'ai eu plus que d'autres prêtres qui ne faisaient guère que passer au Camp, l'occasion de confesser et de distribuer la Ste Communion à des milliers de prisonniers. Pour presque tous, le plus dur consistait, non pas à subir toutes sortes de privations matérielles mais à être sans nouvelles de leur famille. J'ai vu bien des larmes couler lorsque ces prisonniers  me parlaient soit de leur femme, soit de leurs enfants. Mais ils ne songeaient même pas à me donner leur adresse car ils savaient bien que j'étais comme eux, sans aucun moyen de communiquer avec l'extérieur et leur adresse ou leur message n'aurait pu que les compromettre davantage, ainsi que moi-même en cas de fouille, ce qui avait toujours lieu avant chaque convoi pour l'Allemagne. Ce départ, je ne l'ai évité que de justesse, le train qui devait m'emporter le 15 août 1944 ayant été brûlé par la Résistance .

      Dans le convoi dont faisait partie votre mari, convoi parti de Compiègne le 27 juillet , il y avait plusieurs prêtres : Mr l'abbé Millot, curé-doyen d'Hirson et Mr l'abbé Arnaud, professeur à la Roche sur Yon. Tous les deux ont succombé en Allemagne. Grâce à la générosité de l'aumônerie générale des Prisonniers, j'ai pu donner à tous les prisonniers qui partaient en Allemagne chapelets, médailles de la Ste Vierge et le livre de prières du Prisonnier .

      Chère Madame,j'ai eu l'occasion de causer et d'être édifié par bien de fervents prisonniers au Camp de Compiègne. Votre cher mari a certainement passé dans le petit réduit où je disais ma messe et  où je distribuais les objets de piété. Mais , trop nombreux sont ceux que j'ai fréquentés pour que je puisse garder un souvenir un peu précis. Votre mari dirigeait-il une culture au moment de son arrestation et à quel endroit ?

De toutes façons qque la pensée que celui que vous avez tant aimé est un martyr et un saint du Ciel vous soit un réconfort. Je salue respectueusement en vous la femme d'un Saint de Dieu.                                           

    Chanoine Massé