Cet article ne commence pas au début du récit (pour le moment) pour différentes raisons et est complété petit à petit ..
Juillet, - Ce matin, nous sommes partis en retard. A 8h seulement, nos porteurs arrivaient. Prévenu depuis la veille qu'il avait des porteurs à fournir le chef du village voisin n'en avait tenu aucun compte. Le Sénégalais chef de poste, furieux, l'amène avec ses porteurs et le colle à la barre. Très énergique, ce garde-pavillon et il a fort bien fait; ce ressard de chef n'a pas volé ses quelques jours de barre (grosses poutre en bois percée de trous où les noirs fourrent les pieds jusqu'à là cheville, ils n'en sortent pas facilement). Ce sale nègre nous a donc obligés à nous mettre en route avec la forte chaleur. Toujours même chemin dans la brousse et quelques marigots. Je les traverse sur le dos d'un porteur. Léger repas froid vers 11 heures. Arrivée à TANGORC vers 2h, trempés jusqu'aux os, la pluie nous a rafraîchis pendant deux heures. Nous tombons dans une mauvaise case et vivement nos boys font du feu. Je me change de tête en cap. J'ai éprouvé des frissons ce soir. Sentant venir la fièvre, j'ai avalé aussitôt 50cg de quinine. J'ai coupé l'accès, mais je mange peu ce soir. Je bois du thé et me couche.
La pluie de la veille reçue sur le dos pendant 1'étape m'avait bien sorti de mon assiette ! J'ai eu de la fièvre cette nuit. Avant de partir ce matin j'ai pris 25 cg de quinine et ma foi, la marche a chassé tout cela. J'ai bien fait plus de la moitié de l'étape en "tipoÿe"; il y avait 32h aujourd'hui. Mais j'étais stimulé car le gîte est bon. Ce soir, nous sommes arrivés à KREBEDJE où sont 3 Français : L'administrateur, M. GABORIAU, l'inspecteur de milice M. CUSSON et le Commis des Affaires indigènes M. de THURY
A signaler aujourd'hui avec la piste parcourue toujours dans le même état, un marigot infect de plus de 600m à traverser.Rien de gai ces étapes ; il faut marcher l'un derrière l'autre. On ne peut même pas bavarder, trop occupé de regarder devant soi ou d'écarter branches et mouches qui vous caressent la figure, ...
Avant d'arriver à KREBRDJE la piste devient une route large sur 2 bons kilomètres. Nous sommes entrés au poste vers 3 heures. Reçus par ces Messieurs, nous prenons possession d'une case à 2 pieces, bien blanchie (quel luxe inconnu) et nous allons prendre, imités par l'administrateur, une tasse de café. Je fais ensuite un brin de toilette, sans le secours du rasoir (car je garde la barbe depuis Brazzaville) et une promenade dans 1e poste en compagnie de ces Messieurs. C'est excessivement bien tenu ici et sur une vaste étendue; la brousse a fait place à de grands jardins potagers ou aucun légume ne manque (sauf la pomme de terre de France qui ne pousse nulle part) et où poussent des fruits excellents, tels que la barbadine, la goyave, mangue, papaye, corrosol, citron etc, etc ...Il y a aussi des carrés de maïs, de mil, de manioc; une grande et jolie habitation en brique, des magasins, cuisines, cases, pavillons où logent les miliciens et leur familles, des hangars, écuries (il y a au poste 8 chevaux, bien petits, race sara, servant aux passagers qui en désirent pour continuer leurs étapes jusqu'à GRIBINGUI.
Au coucher du soleil, la milice en armes, mais en costumes variés, rend les honneurs au drapeau que l'on descend de son mat .
Un clairon fait les sonneries toute la journée conmme dans une caserne . Tout marche bien à Krebedjé. On doit y être bien; les Français qui y habitent sont de cet avis; ce n'est pas très malsain, sauf en saison des pluies. Nous y sommes en ce moment.
Mon ami CORNUT a la fièvre aujourd'hui. Je dîne avec ces messieurs; c'est toujours une bonne chose...Il y a quelques jolies femmes à Krebedjé. Ce sont les femmes qui font les corvées de propreté au poste, les hommes travaillent au dehors, agrandissent la route , etc., etc..
Un certain NIEBE, noir de race, fils de RABAH, est prisonnier à Krebedjé. Il a été exilé loin du Tchad où son autorité, celle de Rabah, son père, tué par les français, était grande et dangereuse
Juillet.- Nous passons le 17 ici - repos -.
Juillet.- Nous avons quitté Krebedjé ce matin à 8h. J'ai choisi un cheval parmi les 8 rosses de l'écurie, c'est un bai borgne, tout petit, maigre. Sans allures vives, j'ai fait cette nouvelle étape sur son dos. Où est ma "bonne jument "Orbite" du 9è Hussards, avec son trot fameux. La bonne bête ne pourrait pas d'ailleurs trotter dans la brousse comme elle le faisait sur le Prado ou la Corniche. Et puis, elle la trouverait mauvaise, car ici, pas d'avoine, pas de foin, mais du maïs, du mil et de l'herbe, Au fait, elle est mieux au 9* avec sa bonne litière.
6 km après Krebedjé, on passe un cours d'eau sur un pont suspendu au moyen de câbles retenus dans les arbres, un pont fait avec des branches et des lianes. Il est très solide. Ne pouvant pas passer à cheval, je donne ma bête au palefrenier, un nègre, tous les deux passent la rivière à la nage. Nous sommes arrivés vers deux heures à la POKOU. Bon gîte, un Sénégalais est garde-pavillon. Il nous vend: poules, oeufs, tomates, moyennant des perles.
Notre cuisinier (un gamin noir d'une quinzaine d'années recruté à Krebedjé) nous prépare le souper. CORNUT a pris aussi un nouveau boy car hier soir, le sien a déserté, nous emportant 3 couteaux, dont un grand très joli, ma glace, 2 courroies, 1 boite de conserves et divers objets. S'il tombe dans les mains de M. l'administrateur de Krebedjé, il passera un mauvais quart d'heure. Sale race, va, et dire qu'il y a des gens qui s'apitoyent sur le sort de ces nègres qui ne nous suivent que pour nous voler.
Le cuisinier et le nouveau boy viennent avec nous parce qu'ils sont de Fort Lamy. Il a plu toute la nuit, mais nous étions bien à l'abri.
Juillet. - Départ à 7h. Je cède le cheval à CORNUT. J'ai marché à pied aujourd'hui toute la matinée; il n'a pas fait très chaud, il a plu un peu. En ce cas on est mieux qu'en "tipoye".
Nouvelle évasion pendant l'étape; c'est le tour de mon boy. C'est à n'y rien comprendre; je le laissais bien tranquille, je ne comprenais pas son charabia; de son côté il ne savait pas le français...Il ne nous a rien volé, car il nous a quittés pendant l'étape; il a dû se cacher dans la brousse. Je m'en suis aperçu à la Grande halte ; J'appelais à tous les échos; "Boy, boy";personne ne me répond.CORNU rigole de tout coeur en voyant que, comme à lui, le même tour m'est arrivé. Si cette négraille continue de la sorte à se fiche de nous, je crois que je vais devenir négrophobe ; mais, chut , car il paraît qu'il faut aimer le noir....
Me voici donc sans boy. Tant pis, le cuisinier cumulera les fonctions.
Quelques petits marigots encore aujourd'hui, mais presque tous sont munis de petits ponts, A 1 heure j'aperçois les trois coupleurs, au loin, au-dessus de moi. Je suis joyeux, le poste n'est pas loin. La côte descendue, la route large est devant moi, toute droite. Une petite demi-heure après, j'entre aux UNGOURRAS où je suis reçu tout à fait militairement: le sénégalais a fait ranger ses quelques miliciens et la petite troupe me salue. Je rends le salut. Je prends ma case propre et spacieuse, CORNUT arrive quelques minutes après moi à cheval, même parade. Ces gens-là sont dressés ici, ça fait plaisir. - Mêmes victuailles portées par le garde-pavillon et payées avec nos perles: poules, oeufs, patates indigènes, manioc pour nos boys, mil pour le cheval. - Je dîne de bon appétit.
J'enrage tout de même de n'avoir pu pendant ces étapes décharger une fois mon 90 sur une antilope ! Je ne réclame pas du lion ni autre animal désagréable à rencontrer dans la brousse, mais une antilope, ça me ferait plaisir. Enfin, ça viendra bien,
J'achète ce soir au Sénégalais un hamac au prix d'une brasse d'étoffe.
Je vois rentrer du travail une quinzaine de femmes , sales, le corps blanc de terre, des enfants au bras; elles sont vêtues avec la petite feuille réglementaire sur le nombril et se dirigent sous un hangar où elles vont manger et dormir. Quels vilains personnages !!. "Ce sont des femmes", me dit le Sénégalais, que j'enlève à leurs maris pendant quelques jours, parce que, ceux-ci ont fait des "couyonnades" (sic) c'est-à-dire qu'ils se sont échappés, étant recrutés comme porteurs, ou pour travailler à la route ou ont commis un autre méfait. La femme trinque, jusqu'à ce qu' ils viennent la rechercher; c'est ainsi qu'on les tient".
Juillet.- Départ des Ungourras à 6h après un succulent déjeuner: chocolat au lait. Quelle gourmandise ! J'ai retrouvé encore un peu de chocolat de la Cie d'Orient dans mes cantines et le Sénégalais m'a vendu du lait de chèvre.
Après une journée à peu près la même que la précédente, et une étape d'environ 28km que j'ai faite à cheval, au pas et pour cause nous arrivons au poste de DIKOAi gardé par un Sénégalais, sergent; petit poste bien tenu, notre case est propre. Dîner qui devient traditionnel: soupe avec la poule, oeufs, tomates ou patates, café Je me couche aussitôt après, l'étape de demain étant de 32 à 35 kilomètres,
DIKOA est au bord d'un ruisseau du nom indigène de KONACBERE, affluent de la M'Béré
2l Juillet. - Nous sommes partis ce matin à 6 heures, C'est mon tour de "tipoye", mais j'ai marché à pied jusqu'à ce que le soleil soit devenu trop fort. Je suais dans mon tipoye tant la chaleur était lourde, aussi ai-je renouvelé souvent l'eau de la serviette que je porte en route sous mon casque. Je me trouve fort bien d'adapter ce système; la tête est au frais.
Après une bonne halte, repas avec déjeuner froid et toujours le même chemin (brousse) parcouru, j'arrive en vue de NANA. De très loin, j'aperçois le poste car une large route, toute droite et inclinée y aboutit. CORNUT est arrivé avant moi, il cause déjà avec deux Français; M. TÛQUÈ, administrateur adjoint et M. CHAMARRANDE, Commis des affaires indigènes. N'ous dînons avec les miliciens ce soir. M. CHAMARRADE est ici depuis quelques jours à peine, remplaçant M. HERMESSE, mort ces jours-cî d'une bilieuse hématurrique. Que de ravages fait cette sale fièvre; on n' entend parler que de blancs enlevée en 5 secondes par des bilieuses !
Nana est un grand poste, grandes habitations, plantations, maïs et manioc. La population indigène qui entoure Nana se nomme les "Manzias". Les chefs noirs apportent assez régulièrement des vivres et fournissent bien les porteurs. II y a à Nana une dizaine de chevaux pour les étapes, tous petits et courts du pays Sara. Nana est voisin de la rivière dont il porte le nom, le poste est sur la KE, affluent de la Nana .
II dépend du cercle de GRIBINGUI ou Fort Crampel où nous arriverons après demain.. Le cercle de KREBEDJE finit où commence ce dernier, entre le poste des Ungourras et celui de DEKOA.
Juillet. - Nous n'avons quitté Kana qu'à 8 heures; nos porteurs n'arrivant pas, nous prenons 6 travailleurs du poste pour remplacer les absents. J'ai fait l'étape à cheval et j'ai bien marronné aujourd'hui d'avoir un "carcan" entre les jambes car la route est maintenant large, relativement unie et débroussaillée. Le Génie a passé par là. Sur tous les marigots et petits ruisseaux que l'on traverse, sont construits des ponts solides, bien établis, permettant de passer à cheval. Comme j'aurais galopé volontiers, d'autant plus que nous avons reçu la pluie sur le dos depuis notre départ de Nana jusqu'à lh 1/2 arrivée aux TROIS MARIGOTS. L'étape est de 25 km 500. Le poste des Trois Marigots est ainsi nommé, parce qu'à l'entrée du poste, on franchit trois petits ruisseaux parallèles. Le plus important se nomme le "Dédengué". Petit poste convenable entouré de grands arbres où j'entends chantonner dea centaines d'oiseaux et où les 3 ruisseaux jettent une note gaie et pittoresque, tout à la fois. Un Sénégalais est le garde-pavillon.
Juillet. - Partis à 5h 1/2 des Trois Marigots, nous sommes arrivés à GRIBINGUI (Fort Crampel, du nom de l'explorateur massacré à la colonie en 1891) vers 2h. J'ai fait aujourd'hui toute l'étape à pied (30km) maîs je suis arrivé éreinté. Pour la dernière étape, je suis devenu bon fantassin, car je suis arrivé avec une bonne ampoule au pied gauche. Nous n'avons fait qu'une halte de 5' et la grande halte du déjeuner.
A 1 km du point où avons déjeuné, et parallèlement au chemin, coule la NANA, j'ai été voir ses chutes, l'eau coule avec fracas de rocher en rocher, sur une longueur de 100 m environ et par moment d'une hauteur de 8 à 10 mètres; il y a là une force motrice importante (avis) Comme coup d'oeil, Je l'ai trouvé magnifique. Cinq kilomètres avant Fort Crampel, nous avons passé sur un pont suspendu dur la Nana vrai petit chef-d'oeuvre du Génie, en tenant compte de la main d'oeuvre noire et du matériel rudimentaire dont dispose l'officier du Génie qui fait faire ponts et routes dans ce territoire. Nous trouvons ici l'administrateur M. de ROLLE, le Docteur colonial MOREL, un commis affaires indigènes et un camarade, le Maréchal des Logis BENOIT de l'Artillerie de marine. Pas bien situé le poste de Gribingui ! il s'adosse à une petite montagne noire qui rappelle un peu les Monts d'Auvergne, appelée "le Bandero" et de l'autre côté, se trouve limité par le Gribingui, grande rivière. C'est un fort qui en mérite un peu le nom, car plusieurs pièces: canons, revolvers, et autres sont braqués, et les munitions pour l'artillerie ne manquent pas. Le malheur est que ces obus devraient être au Chari entre les mains de la batterie, et non ici en territoire civil, tranquille ; mais le moyen de les y faire transporter, voilà le hic ! Peu à peu les munitions montent, mais, soit que le Gribingui n'est pas toujours navigable ou soit tant d'autres difficultés, elles montent lentement, et pourtant on se bat toujours au Chari ! ...
J'apprends ici que 1500 Touaregs ont encore attaqué BIR-ALALI, 1 poste situé au N.E du lac Tchad (siège de 2 combats déjà) ; ils ont été battus et repoussés. Le poste n'a pas d'autres détails encore. J'ai hâte d'arriver à l'Escadron pour être un peu du bal...
Juillet. - Repos à Fort Crampel. Forte pluie, nous partirons demain. Je touche 15 jours de vivres avec 4 jours de pain et 11 jours de biscuit, pour aller jusqu'à Fort Archambault. Nous héritons ici d'une tente, car on trouve extraordinaire que nous n'en soyons pas munis.Elle nous servira pour un mois de voyage qui nous reste à faire en saison de tornades. Le docteur MOREL me donne 24 cartouches LEBEL, car dit-il, vous aurez à vous garder de l'hippopotame, du rhinocéros et ma foi, peut-être aussi du lion. Mais nous n'avons qu'une carabine pour deux et encore grâce au chef CHAUCHOY qui me l'a donnée à Bangui . Et nous aurions dû être armés à Brazzaville par les services administratifs ou à Corteaux . Nouvelle insouciance de ces Messieurs !..
Juillet. - Nous quittons Gribingui à 11 heures, sur une baleinière armée de 7 Yakonas pagayeurs et chargés en vivres pour Fort l'Archambault. Nous naviguons sur le Gribingui, grosse rivière affluent du Chari, rive gauche peu large au départ de Fort Crampel.
Agréable surprise ce soir. Après notre dîner dans la brousse au moment d'entrer sous la tente pour nous coucher, j'entends du bruit dans la rivière. Je m'approche: c'était une pirogue venant de Fort Crampel avec mission ds nous rattraper pour nous remettre le courrier. Quelle Joie ! Nos lettres et journaux sont à part, grâce aux bons soins de notre ami BENOIT, de Gribingi, qui l'a dépouillé Ah.! nous n'avons pas envie de dormir.
Je tombe sur ces chères missives qui nous apprennent que parents et amis se portent bien et ne m'oublient pas !J'ai eu 11 lettres à lire, quelques "Petits Marseillais", une brochure. J'aurais passé la nuit si Je n'avais pas gardé un peu de cette douce distraction pour le lendemain. Je me suis endormi très tard et CORNUT a fait comme moi, occupé également par son courrier. J'ai pris possession de 8 tonnelets remplis de lettres et d'un sac de colis postaux,
Me voilà Agent des Postes. Maintenant, vais-je faire des heureux à Fort Archambault en arrivant avec le courrier...
Le 28, je couche au poste de FINDA, gardé par un N'Dy, nègre d'une tribu voisine. J'achète quelques poules, pour ne pas en perdre l'habitude.
Trois jours après, nouveau poste de LUTHO, gardé par un N'Dy. Nouvel achat de poules et grande provision d'haricots indigènes; c'est prudent, parce que depuis Fort Crampel, la région est à peu près inhabitée, et très pauvre, .Je n'ai vu que quelques noirs les premiers jours qui viennent ramasser le poisson dans le Gribingui, pêche facile, car ils font de grands barrages. Aucun village sur les rives, parfois un pont très curieux, fait de lianes, suspendu sur la rivière à une hauteur de 5m environ et se balançant entre deux arbres d'une rive à l'autre: solidité contestée ! Le 3 Août, nous atteignons les rapides ; au 1er, hommes et bagages débarquent, les Yakomas passent avec la baleinière vide sans accident et 50m plus loin, il faut rembarquer.
Donc, pour quelques mètres où d'énormes rochers rendent le passage difficile, il nous faut perdre environ deux heures pour décharger et recharger la baleinière ( avec les basses eaux) . '
Un second et 3ème rapides, moins scabreux, que nous passons sans descendre, le 3ème surtout, avec une rapidité extraordinaire donnée par le courant. Pas d'accident.
Le 5 Août nous quittons la rivière du Gribingui pour entrer dans le CHARI. Curieux confluent; rive droite le Gribinguî reçoit la "Soumossou", se jète aussitôt dans le Chari; il y a donc quatre bras d'eau à ce confluent. A cet endroit, le CHARI se nomme aussi Bas-Mingui. Le Gribingui n'atteint pas plus de 40 mètres à sa plus grande largeur, son cours est très sinueux ses rives très boisées offrant des abris pour passer la nuit mais tous désertés. Les hippos ne nanquent pas dans ses eaux et sur ses rives, les singes ulullent.
Le premier poste militaire de tirailleurs réguliers, car la région civile est terminée, est à ERINA, sur le Chari, du nom d'un petit affluent du Chari, rive droite. Poste nouvellement créé, le chef de poste ne peut me vendre que 3 poules et 7 oeufs. Une panthère lui a enlevé dans la nuit du 5 au 6, 10 cabris.
Nous rencontrons sur le Chari vers 2 heures, le 7 Août, le petit vapeur "Léon Blot" de la flottille du Tchad; à bord, le Colonel DESTENAVE, et plusieurs officiers rentrant en France.
Je fais signe d'arrêter la baleiniere et me présente au Colonel. Je remets le courrier de l'Etat-Major et de tous ces Messieurs qui avec une joie apparente fouillent les tonnelets pour prendre leurs lettres. L'opération dure environ 1 heure, Je prends congé du Colonel qui me serre la main et me souhaite bonne chance.
Les officiers me serrent également la main; je regagne ma baleinière et le "Blot" reprend sa marche lente, car le Chari n'a pas beaucoup d'eau. Souvent le sable nous arrête, Nous passons la nuit du 7 au 8 sur le fleuve, c'est-à-dire que nous marchons toute la nuit pour arriver à Fort Archambault le 8. Les vivres finissent aujourd'hui, mais nous sommes arrivés à 5h 30' devant le poste. La sonnerie du réveil vient jusqu'à nous sur la rivière . Nous débarquons, reçus par quelques sous-officiers à peine éveillés, leurs boys les ayant prévenus que des blancs arrivaient.
Nouvelle joie ici crée par l'arrivée du courrier. Officiers et sous-officiers s'empressent autour des tonnelets. Le dépouillement est vite fait.
Aout - Séjour à Fort Archambault. Joli poste, 2 pièces sont montées sur un petit fortin, entouré d'un fossé. Un Capitaine d'infanterie coloniale, M Parayre, commande le poste. En dehors du fort, une vaste place avec cases des tirailleurs et écuries pour une quinzaine de chevaux et un autre carré avec cases des Bandas. Ceux-ci sont des travailleurs et fournissent aussi quelques auxiliaires à la Cie des Tirailleurs II y a à Fort Archambault un troupeau de jolis boeufs, des chèvres, les légumes: tomates, aubergines y viennent bien. Je bois ici du bon lait. Nous nous trouvons ici plusieurs passagers, officiers et sous-officiers. Le 9, part par voie de terre, une Cie de Yakomas, commandée par le Capitaine TRUFER, de la légion étrangère; avec lui, un lieutenant et un sergent.
Tous 3 partent à cheval, ils ont avec eux une dizaine de boeufs porteurs. Très original, le départ de cette Compagnie. Un par un, ils se mettent en marche, jouant du tambourin et du clairon. Des femmes sont montées sur des boeufs. Un d'entre eux peu décidé à partir se débarrasse de la femme et des bagages qu'il portait... Cette Cie revient du KANEM, son séjour est terminé. Elle a assisté à plusieurs opérations dans cette région, principalement aux combats de Bir Alali.
Le 10, nouveau passager, c*est le commandant LARGEAU qui arrive en baleinière; cet officier supérieur vient du Sénégal et vient prendre le commandement supérieur des troupes du Chari,Le ll, il passe en revue la petite garnison de Fort Archambault.
Aout. - En baleinière,le 12, je quitte Fort Archambault avec le Commandant LARGEAU qui a bien voulu nous prendre CORNUT et moi,nous évitant ainsi de longs jours de navigation en pirogue. Nous passons la première nuit sur un banc de sable, quant à la seconde celle du 13 au 14, nous la passons autour d'un feu, trempés jusqu'aux os par une violente tornade qui dura de minuit à 5 heures. Le Commandant subit le même sort que nous à partir de 2h, sa tente ayant été enlevée par la violence du vent. Nous partons dès que le jour, impatiemment attendu, paraît. Nous avions campé sur un banc de sable voisin du village de KOUNO, près du Mont Togbao siège du massacre de la mission BRETONNET.
Le champ de bataille est marqué par une grande croix de bois que l'on aperçoit de la rivière. Le 14, nous arrivons à DAMTAR, poste sur la rive gauche du Chari, commandé par un sergent. Le Commandant reçoit ici la visite du chef KQRB0LL très puissant dans la région. Ce beau noir, car c'est un grand gaillard solide, fait porter par sa suite: cabris, miel, ivoire, qu'il offre au Commandant, lequel lui remet ensuite quelques présents .
Nous quittons le 5 Damtar à 5h 1/2. Un peu au Nord commence sur la rive gauche le territoire Allemand; la rive droite nous appartient. Je vois aujourd'hui un troupeau de girafes près de la rive. Les principaux villages riverains sont: à gauche MILTOU, point de jonction du territoire Allemand avec le Chari, NYOSOU, GUELAN, MAGIOU, à droite, près de ce dernier, nous rencontrons une pirogue montée par le Capitaine KLERIN, rapatriable. Nous arrivons le 17 à BOUSSO. (Port BRETONNET) commandé par un Capitaine. Nous séjournons dans ce poste. J'y vois des autruches, un important troupeau de boeufs. Un grand nombre de noirs, anciens captifs de RABAH, les Krèches, font ici d'assez bons auxiliaires tirailleurs. Sortis de BOUSSO, on trouve à droite les villages de MORIOU, LAFPANA, MAFALING, MiAN. Le 18, coucher au village de BOAÏ, dans une case que des noirs évacuent et dans laquelle j'enlève une multitude de poux. Ma flanelle surtout, en était couverte. Quelle saleté !
BOAÏ on passe devant MALAMA à droite. Coucher le 19 à B0LIENBIE. Je ne vois aucun poste allemand sur la rive gauche où il y a de rares villages. Sur ce parcours, le Chari continue à avoir un cours irrégulier avec des rives basses et même nulles. Tantôt celles-ci sont élevées, là alors se place un village; aux rives basses, près des bancs ds sable, surtout pendant la saison sèche, on voit aussi des villages ; ce sont des cases de pêcheurs qui jusqu'aux hautes eaux demeurent là pour se retirer alors à l'intérieur. C'est ici le BAGUIRMI qui se distingue par la culture; les noirs font du chanvre et tissent des étoffes grossières en coton pour se vêtir; les femmes enploient là le rouet de nos grand-mères. Cetta région est par le 11° de latitude et 13° longitude Est.
Le 20, coucher à MANDJAFFA (Fort de Cointet) un sergent chef de poste et quelques tirailleurs.
Le 21, nous passons devant BONGOUMA, rive gauche, BALAMASSA rive droite , KOUNDi, rive droite, et couchons sur un banc de sable. Il m'est impossible ds dormir, dévoré par les moustiques et agacé par leur musique toute la nuit. Le 22, villages de BIALALI, rive gauche, KLEMSSEM, rive droite. Dans l'après-midi un vent violent se lève subitement et nous force d'atterrir, tant les vagues menaçaient notre baleinière. Nous restons ainsi une demi -heure et nous reprenons le large. Vers 4 heures, ce jour, nous arrivons à Fort Lamy, après avoir passé devant KOUSSOURI; village que nous avons occupé longtemps, mais qui est maintenant aux Allemands, (rive gauche).
Août. - FORT LAMY;capitale ce n'est pas encore là que nous trouvons notre Escadron; il y a pourtant 4 mois et 7 jours que nous avons quitté la France !... Fort Lamy est gardé par des tirailleurs de l'Artillerie, (il y a 3 pièces.) Le Commandant TETARD, un Capitaine d'Artillerie, un Lieutenant d'Infanterie, un docteur, un interprète, plusieurs sous-officiers d'Artillerie, d'Infanterie Coloniale sont dans ce poste. Le Commandant LARGEAU établit sa résidence à Fort Lamy. Je vois ici le monument commémoratif de la mort du Commandant LAMY et de ses compagnons. Le champ de bataille est en face et plus au Nord sur la rive gauche, mais le monument a été fait sur la rive française. II porte l'inscription suivante: "A la mémoire du Commandant LAMY du 1° Tirailleurs et de ses compagnons d'armes, morts au champ d'honneur, le 22 Avril 1900 pour la France et la civilisation".
Août - Je reste six jours à Fort Lamy. Le 29 nous sommes mis en route sur YAO, dans le Fitri , où réside une partie de notre Escadron. Nous avons comme monture les chevaux que le sellier Européen nous a amenés avec 4 spahis indigènes le 27. Je monte un bon cheval; nos bagages sont amarrés à dos de chameaux et de boeufs et nous quittons Fort LAMY vers 10 heures du matin.
J'ai touché 12 jours de vivres dont 8 jours de biscuit. Mon convoi comprend 4 spahis montés, des boys, 3 femmes de spahis , dont une a un mioche au sein, 3 chameaux, 1 boeuf . Procession de Gaoui à signaler . Nous passons dans la journée au village de Gaoui, qui fut fortifié à en juger par son enceinte de murs en pisé. Ce n'est plus que ruines maintenant. Nos hommes, surpris d'entendre des cris étranges que nous expliquons bientôt: une bande de femmes et d'enfants font le tour du village en racontant des prières, s'arrêtent parfois pour se prosterner par terre, chanter des psaumes, se relèvent, repartent en courant, tels un troupeau de moutons et tout ce potin dans le but de prier "Allah" de faire pleuvoir pour faire pousser le mil...
Nous couchons ce soir à BICHARRA. Je réclame un mouton au sultan et de l'acidé: nourriture pour mes hommes. Le mouton est vite tué; le partage est fait; les animaux mangent ds l'herbe.
Je fais donner un peu de mil aux chevaux.
Août. - Départ de bon matin; ce soir coucher dans la brousse, près d'un marigot à eau sale. Le café a une couleur de café au lait, tant l'eau est boueuse.
Août. - Nous traversons quelques petits marigots et couchons à ALCOLEEH. Mouton et nourriture assurée. On m'apporte des calebasses de lait ; j'étais joyeux mais c'était du lait fumé ! (leben), afin qu'il puisse se conserver. Il est "détestable" à boire je le donne aux spahis et je demande du lait qui soit trait à l'instant même (alib). On m'en apporte plus que je ne peux en boire. Il y a un troupeau de chèvres; le lait ne manque pas au village.
Septembre. - Nous traversons un village abandonné et nous couchons ce soir à AMADAM.
Septembre. - Le 2, coucher à SNOU.
Septembre. - Le 3, coucher dans la brousse près d'un marigot, pour ne pas changer; l'eau comme celle de tous les marigots que l'on traverse vous dégoûte à première vue, mais comme les fontaines n'existent pas, il faut boire et faire sa cuisine avec ce qu'il y a, c'est à prendre ou à laisser. Pour la boisson,je la coupe avec quelques gouttes d'alcool de menthe.
Septembre. - Le 4, nous allons coucher à MOÏTO, village au pied d'une colline rocailleuse. Aujourd'hui le paysage a changé, nous avons quitté pendant une heure la brousse pour traverser une vaste plaine où le soleil nous grille à volonté. Impossible même de trotter un peu, par rapport au convoi, c'est toujours au pas d'ailleurs qu'il faut faire nos étapes.
Septembre. - Apres Moïto , nous longeons pendant quelque temps des montagnes formées d'énormes rochers. Dans la journée, comme tous les jours nous rencontrons dans la brousse des antilopes, des gazelles, des sangliers, des pintades en masse. Je n'ai pas encore vu le lion ni la panthère, ça ne manque pas pourtant dans l'Afrique Centrale, plusieurs noirs sont vêtus de la peau de ces animaux.
Nous arrivons, le soir à AB0UKTIÉ. où devant nous, à notre arrivée, tous les noirs fichent le camp dans la montagne située juste derrière le village. Nous ne trouvons que quelques femmes apeurées qui n'ont pas eu le temps de fuir; il m'est impossible de voir un homme de toute la nuit. Je les fais appeler par les spahis, mais aucun ne revient, un boy de spahi qui s'était aventuré dans la montagne reçoit, à deux pas de lui une sagaie lancée par un noir. II m'est impossible de saisir ces sauvages-là qui sont embusqués derrière les rochers, nous passons la nuit, je mets une sentinelle. Un noir est pris, je le fais amarrer et l'emmène le matin comme guide.
Septembre. - Le 6, nous couchons à GAMZOUZ; la réception est tout autre que la veille, le sultan me donne un mouton et des vivres pour les hommes.
Septembre. - Coucher dans la brousse.
Septembre. - A 10H, arrivée à FALHE; les habitants prennent la fuite dans la montagne, il ne reste encore que des femmes. Je demande les hommes. Les femmes me mentent en me disant que ceux-ci sont dans les champs de mil, mes spahis les ont vu fuir dans la montagne, et me préviennent. Je les fais appeler par leurs femmes, les prévenant qu'il ne leur sera fait aucun mal et qu'ils viennent dire bonjour aux Nassaras (blancs). Ils s'y refusent. Je les menace alors de prendre leurs troupeaux et leurs femmes que je fais garder, ils ne reviennent pas davantage. Exaspéré, je donne l'ordre du départ avec un troupeau de moutons et toutes les femmes. Derrière nous, dans la montagne, les hommes se montrent, je les fais prévenir de nouveau que s'ils ne viennent pas, j'emmène tout. Ils n'obéissent encore pas, voyant pourtant leurs femmes et leurs enfants ainsi que leurs troupeaux. ; Sauvages, va!--.
Je continue ma route avec tout ce monde-là; le soir, campement dans la brousse. Je bois du bon lait que me donnent les chèvres du troupeau; je réjouis mes spahis en faisant tuer 3 moutons. La ration est forte, tous sont contents. Arrivent pourtant 3 hommes du village en question dont le Kébir (chef). Impossible de leur faire avouer qu'ils s'étaient sauvés à l'arrivée des blancs; c'étaient les autres, mais pas eux naturellement . Je leur fais de sévères reproches, je renvoie les femmes dans leur village, qui me remercient en se jetant à genoux et en frappant plusieurs fois dans leurs mains, je leur rends leur troupeau dans lequel je prélève toutefois 5 moutons pour notre nourriture et je garde les 3 hommes prisonniers. Ils me servent de guides le lendemain.
Le 9, j'arrive à MALMET. Là, se trouvait un sultan impartant HASSEM ABSAKIM , bien vêtu; une huile, quoi !
Il me reçoit fort bien, me donne 2 moutons et un chameau, et un boeuf pour remplacer 2 de mes chameaux crevés avant d'arriver à Malmet. Je luî montre mes trois prisonniers et lui raconte l'odyssée des gens de leur village, je lui demande de les punir; il fait flanquer une rossée avec une solide chicotte par un de ses homme à ces trois sauvages dont je ne m'occupe plus. Je les laisse au sultan,de qui ils sont des sujets.
Je quitte le sultan vers 7 heures. II était venu me saluer avant mon départ.
A II h 30' je m'arrête à DENI où nous déjeunons. A 1h 1/2, départ sur YAO, où nous nous arrêtons en vue du camp à la sortie du bois une heure après. Une plaine à traverser et à 3h de là, nous entrons à YAO. Le Capitaine, M.DANGEVILLE et le trompette PIN0N, les deux seuls blancs qui restent de l'escadron nous reçoivent mais leur joie n'est pas complète en ne voyant arriver que deux sous-offïcîers.Ils attendaient la relève, complète avec le Capitaine, car ils ont actuellement 23 mois de séjour, font du rabiot et voudraient bien rentrer en France !
Voilà donc l'Escadron de la Cie du Chari trouvé ; CORNUT et moi sommes bien heureux de pouvoir enfin terminer ce long voyage. C'est aujourd'hui le 145ème jour que nous marchons. Il nous a fallu cinq mois, pour arriver à notre poste ! ! !
Je prends possession d'une case et je suis enfin chez moi.
Pour quelque temps maintenant, il n'y aura plus à se préoccuper tous les matins de se mettre en route et le soir de chercher le campement et la nourriture.
REPOS !