Voici la suite une fois arrivé à destination
- Un mois s'est passé depuis mon arrivée à Yao, Je ne me suis pas trop ennuyé pendant ce premier mois ayant eu assez d'occupations pour prendre en mains mon nouveau service, connaître les spahis et les chevaux de mon peloton, faire quelques promenades à cheval avec notre Capitaine et pour reconnaître les environs du camp, en un mot, m'orienter dans ce nouveau bled.
C'est en effet, un sale bled que celui où je suis tombé.
Yao est situé entre le 13° de longitude ouest et le 15° latitude nord; au Nord-Est des lagunes du Fitri, le village "Yaoua" est tout à fait misérable; les noirs n'y vendent rien, n'y fabriquent rien, ne cultivent que le mil. Le camp de l'Escadron est à 400 mètres du village, dans une enceinte entourée d'un fossé profond de 1m20, large de un mètre et creusé sur un carré de 200m de côté. Nos cases sont alignées sur deux rangées, le long des faces du camp, ,faites de paille, elles servent, les unes pour les chevaux, les autres pour les spahis,leurs femmes et leurs enfants.
A l'entrée principale du camp est le corps de garde; en avant, la case en terre du Capitaine et à droite, à gauche et en arrière sont les cases des blancs faites de terre pétrie et recouvertes de paille. Le sol de ma case, c'est le sable, aussi je ne l'habite pas seul; à terre loge une foule de petits insectes et sur la toiture en paille, se baladent des lézards et des rats qui la nuit se mettent en mouvement. J'ai aussi comme compagne, que je respecte, une hirondelle qui a bâti son nid sur une traverse de la toiture et je vois entrer souvent le père et la mère qui peuplent le nid; ça me fait plaisir. Aucune porte ni fenêtre ne sort closes aussi les volatiles entrent et sortent comme chez eux, Mon lit est fait de branches d'arbres juxtaposées les unes à côté des autres et élevées du sol par 4 piquets en carré, pour éviter de coucher par terre; je mets là-dessus une natte, mon couvre pieds et une seconde couverture; j'ai fabriqué un oreiller et je fais encore, couché de la sorte de bonnes siestes et de bonnes nuits. Les draps sont absolument inconnus, les marchands de .... manquent encore au Tchad. Chose indispensable: mon lit est entouré d'une moustiquaire, bien fermée quand vient le soir, et je dors ainsi dans cette cage entourée d'étoffe à l'abri des moustiques. Ces sales bêtes-là nous ennuient, nous persécutent plutôt du matin au soir; il paraît que c'est ainsi à Yao toute l'année !! Où la situation est intolérable, c'est au repas du soir: il faut se dépêcher de manger, tant on est piqué tout en tenant' d'une main un éventail (fait avec les plumes des grands oiseaux du pays pour éloigner les moustiques. Ils sont tellement nombreux qu'ils nous obligent à aller nous coucher plus tôt qu'on ne le voudrait, car le soir, avec la lune (l'éclairage lampe n'est pas usitée) on resterait volontiers dehors tant on étouffe dans nos cases et dans la mousticaire.
La chaleur est atroce à Yao, aussi n'engraisse-t-on pas car on est toujours en nage . Pour mon compte, je sue çomme un phoque. Le mois d'Octobre termine l'hivernage c'est-à-dire la saison des pluies mais à Yao, cette saison, il n'a presque pas plu, le temps est orageux et il ne pleut pas d'où température lourde qui rend malade. J'ai eu ce mois-ci 3 fois la fièvre légèrement; on la combat avec de la quinine; tous les deux jours, on s'en fourre 50c dans le coffre. C'est d'ailleurs le seul médicament avec la teinture d'iode dont le poste dispose, Pourquoi? Il est fort heureux q,us l'on ne soit pas dangereusement malade car le docteur est à Fort Lamy, à 13 journées de marche de Yao. C'est le trommpette blanc qui joue ici le rôle de "toubib"; il passe la vîsite aux noirs et les badigeonne toujours à la teinture d'iode pour n'importe quelle maladie; ïl n'y a que la foi qui sauve... mais comment ferait-il autrement puisqu'on laisse le poste sans médicaments, et ce qui pis est... sans vivres. Nos rations finissaient le 27 septembre ; nous sommes actuellemet à Tao 4 Européens, et le poste de Fort Lamy nous a envoyé le 28 septembre 24 bouteilles de vin, 4 tonnelets de farine et barka; nous n'avons rien d'autre à nous mettre sous la dent. Nous n'avons donc actuellement ni sel, ni huile , ni vinaigre (de ces deux liquides on s'en passe car nous n'avons jamais une salade à manger, aucun légume ne pousse à Yao et le village n'a rien) ni poivre, ni viande, ni conserve, ni sucre, ni café (chose essentielle à la colonie) ni graisse, et enfin ni notre thon et sardines qui oonstituent la ration.
Et cela, pourquoi? Parce que les moyens de transport manquent à Fort Lamy, les boeufs porteurs et les chameaux font défaut; croyez vous qu'on réquisitionnerait des noirs pour le portage ? mais non, il ne faut pas déranger ces fainéants-là, tant pis si les blancs de Yao crèvent de faim. Notre menu se compose de mouton matin et soir, c'est toujours le sale bouc qui nous est servi à table. Nous manquons tous d'appétit; la vue traditionnelle de: côtelettes de mouton, rognons de mouton,gigot de mouton nous enlève l'envie de manger. Par contre, si le pays n'avait pas de mouton, nous n 'aurions rien à manger. Nous gardons avec un soin jaloux quelques vaches qui nous donnent du lait, c'est le breuvage qui me nourrit d'ailleurs, car j'aime beaucoup le lait. Une vache donne au grand maximum de 2 à 4 litres de lait par jour. J'espère que, par la suite, nos vivres nous parviendront plus régulièrement.
Voilà les avantages d'être dans les "postes les plus avancés"
Yao à l'est (l'escadron de spahis par conséquent) est avec les troupes du Kanem (Bir Alali) au Nord le point le plus éloigné qui soit occupé militairement dans nos possessions du Centre Africain.
De plus, la région du Fitri ne fournit même pas de quoi nourrir hommes et chevaux, et que faut-il pour cela? du mil? Il y en a si peu qu'il faut compter sur des razzias que font les spahis avec le concours de quelques chefs soumis, mais les ressources sont si aléatoires que depuis plusieurs mois,les spahis seuls touchent du mil; il est impossible d'en donner aux chevaux qui ne mangent que de l'herbe ...La mil constitue pourtant leur principale nourriture, comme l'avoine en France.
Bref, tout le monde, hommes et chevaux, vit ici au jour le jour, nous ne possédons aucune réserve. Les spahis touchent comme nous du mouton et font avec cette viande et le mil ou à défaut, avec la fleur de foin (ce sont de petites graines que les femmes ramassent dans la brousse en secouant un espèce de foin sauvage ...Ces graines donnent une farine à peu près semblable à la semoule mais pas nourrissante) la Cida, genre de couscous.
Autre grande lacune à la colonie, les fonds manquent, le budget local n'a rien ou presque rien et du reste, que gagne t-il dans un pays aussi pauvre où il n'y a ni commerce ni industrie, ni production d'aucune sorte. Il faut donc des secours de la métropole; la monnaie courante est ici le Thaler de Marie Thérèse, qui vaut 3 frs 10 et j'ai ouï dire que le Commandant des troupes a trouvé en caisse à Fort Lamy la somme de 140 thalers !!! pour toute fortune, légués par le Colonnel Destenave à la fin de sa mission. CORNUT et moi, nous n'avons pas touché un sou à notre arrivée et il est dû actuellement à nos spahis six mois de soldes ! Triste situation qui pourrait amener de la part de nos troupes indigènes de graves incidents. Le noir, soit : Sénégalais,Arabes, et Bandas, éléments qui constituent notre Escadron (ces 2 derniers, anciens guerriers des chefs tels que RABAH, FAD-EL-AllAH que nous avons tués) sont braves et se battent admirablement, mais il faut avec eux tenir et payer ce que l'on promet .
Il est regrettable aussi de constater la tenue en haillons de nos soldats, moins encore de nos spahis que des tirailleurs, dans tous les postes de la Colonie.
L'Escadron possède encore des moyens d'existence , puisés lorsqu'il opérait il y a quelques mois, contre les fameux chefs RABAH et autres, dans le Bornou. De ces différents combats: KRECH-KRECH, DIKOA, KOUSSOURI, GOUDIBA, qui furent des victoires, on en rapporta: vivres, effets, munitions, thalers en quantité assez considérable, surtout à DIKOA. Mais il a fallu quitter cette région peuplée et assez riche que nous avions conquise et pacifiée déjà avant l'arrivée de l'anglais et de l'allemand. Le BORNOU est à eux, de par les traités de 1898, mais ils n'y sont venus qu'en 1902, pour nous prier d'évacuer. C'est bien là ce qu'on appelle "avoir travaillé pour le roi de Prusse ..." Naturellement, 'il y a dans l'Afrique Centrale une région bonne et productive, qui après un FACHODA, ne nous échouait même pas en compensation !.. L'arrivée tardive des Allemands et des anglais au Bornou a pour le moins permis à nos troupes de vivre assez largement en 1900 et 1901 et à notre Escadron de se remonter 3 fois en chevaux à peu de frais. Mais en 1902 et par la suite, c'est autre chose, où prendrons-nous des chevaux? le Bormou seul en possède, notre territoire n'en a pas ou bien peu.
Nous occupons au Chari, le BAGUIRMI, sur la droite du Chari, région plane sous l'autorité nominale du sultan GAOURAN, lequel est un peu trop en faveur auprès de l'Administration française et qui se paie notre tête; Il ne fournit même pas de quoi nourrir ses troupes, mais on lui fiche la paix !.. On n'exige rien de lui. L'Escadron est à Yao dans le Fitri, chez les Boulalas, vilaine race. Les femmes, en grand nombre affreuses, à peine vêtues, sont coiffées de telle façon qu'avec le secours de graisse, leurs cheveux forment sur leur tête une sorte de casque "Gallo Romain". C'est à la fois sale et curieux....
Au Nord-0uest du Fitri, nous possédons le KANEM à la rive orientale du lac Tchad, région pauvre également, moins que le Fitri pourtant. Un peloton de l'Escadron tient garnison au Kanem à Bir Alali, siège de 2 combats contre les Touaregs (9 9bre 1901 et 20 Janvier 1902) affaires auxquelles ont pris part nos spahis (peloton du Lieutenant DUPERTUIS). Une Compagnie de Tirailleurs occupe aussi au Kanem: N'Gouri, appelé Fort Onillot et MASSAKOURI dans le Dagana. Le Capitaine a reçu ce mois-ci un courrier du Lieutenant DUPERTUIS lui rendant compte qu' il a repoussé, avec 60 tirailleurs du bataillon du Chari, le onze d'Août dernier, un fort parti de Touaregs des tribus du KANZER et d'ABD-el-KADER auxquels il a pris environ 500 chameaux. Battus, les Touaregs ont disparus au Nord du lac Tchad (Combat de KOROFOU 11 Août 02} Le partage des territoires du centre de l'Afrique fut si mal fait en notre faveur et si bien fait en faveur des Anglais et des Allemands, qu'une chose essentielle nous manque: la communication directe et sûre du Tchad avec le 3° territoire ZINDER. Du Chari, il eut été rationnel que nous puissions nous relier à Zinder par l'Ouest du lac Tchad, par le Bornou, route à peu prés sûre et pas privée d'eau et de mil. Mais non, cette voie est fermée aux français qui doivent se relier au Zinder par le Kanem; c'est à dire par l'Est et par le Nord du lac Tchad, par le désert, par conséquent, gardé par les Touaregs Dignerra jusqu'au 3° territoire, bien à l'ouest du grand lac. D'où route privée de tout et dangereuse, il est impossible de songer à passer par là. Voilà donc pourquoi nous ne pouvons relier nos possessions du Tchad au Soudan par Zinder.
A l'est du Fitri, se trouve une région donné comme riche; le Guadaï entre les mains de sultans: B0UD MOURAZ & ABAS GHAZAL qui sont toujours en guerre et dont un ACYL est venu se placer sous notre protection. Cet état de choses a fait jeter les yeux des Français par là. Notre capitaine est en relations avec le sultan ACYL qui désirerait qu'on se rapprochât de lui.
A la fin de Septembre, le 29, nous avons quitté le camp; Capitaine, 2 sous-officiers, notre trompette blanc et 30 spahis, tous armés pour pousser une reconnaissance et voir ACYL. La lere journée, nous campons au bord de la rivière le BAR-BAT-HÂ, qui se perdant, dans les lagunes au Fitri, descend vers l'Ouadaï qu'elle traverse. Fait curieux: en plein hivernage, le Bar~Bat-hâ est à sec. Ici aussi, les pluies ont été rares. Que deviendra le mil cette année?
Le 30, nous atteignons les hauteurs du MEDOGO et campons devant le village de ALÎFÀ, au pied des montagnes.
Octobre. - Le 1er, à 6 heures du soir, nous entrons à MANDOLE, village qui eut autrefois de l'importance par la résidence de sultan. Ce n'est plus rien aujourd'hui. Le 2, au matin, nous quittons Mandolé pour nous rendre au "tata" du sultan ACYL à quelque cent mètres de là,sur l'autre rive de la rivière à ALI. .
Formés en bataille, trompettes sonnant en tête, Européens groupés (nous étions 4) nous arrivons. Rien de brillant dans ce "bakan" (lieu). Le sultan est dehors, entouré de ses guerriers, chef à cheval et fantassins. II monte un bien joli cheval, harnaché et équipé richement. Tous ses gens sont armés da fusils (Gras, Remington, fusils à pierre) de sabres, lances et sagaïes (Ceci pour la réception et non pour la bataille.) Un bruit discordant sort de quelques instruments de cuivre, un guerrier souffle même dans un piston Un air qui ne varie pas. Les femmes sur le seuil de leurs cases, nous saluent en poussant des cris aigus,faisant de leurs bouches une musique avec leurs mains. C'est un grand événement pour ces gens-là que l'arrivée des NASSARAS ( blancs) dans leur village. Nous piquons un galop allongé sur cette horde assemblés et nous arrivons devant le sultan. Celui-ci peu soucieux des règles du protocole et fier d'ailleurs, ne s'avance même pas vers le Capitaine.
Bref, les Salam-Aleks se font tout de même. ACYL est jeune encore de 20 à 25 ans. Il s'est réfugié dans le Médogo parce que sa vie était menacée dans l'Ouadai". Ses frères, sachant qu'il devait régner, le tueraient ou lui crèveraient les yeux, les moeurs sont telles chez les gens de races où le futur régnant s'il ne se garde pas est certain de disparaître ou d'être rendu infirme par les soins de ses proches parents qui voudraient régner à sa place. Aussi, ACYL, en se rapprochant de nous, a son but: nous faire marcher sur ABECHER, résidence dans l'Ouadai de ses frères et parents qui le menacent et le placer sultan. Je n'entre pas dans les avantages postérieurs que retirerait la France de cette conquête, mais le plus important serait que nous trouverions, au Ouadai, région fertile, commerciale, écrit-on,puisque c'est le passage des caravanes de la Tripolitaine, et surtout de quoi vivre avec nos troupes, tandis qu'à Yao, dans le Fitri, nous vivons péniblement de razzias au jour le jour et en outre,le Fitri n'arrivera jamais, non seulement à nous nourrir,mais aussi à rapporter un centime à la métropole. Jamais un concessionnaire ne viendra s'établir dans ce pays, trop éloigné de France, et où le sol ne produit rien. D'ailleurs, comment le colon et à quel prix d'argent et de dangers, apporterait-il ses marchandises et les exporterait-il et avec qui les écoulerait-il ( Il pourrait tout au plus se payer en plumes d'autruche! On en trouve quelques unes au Fitri et c'est tout... Peu ou pas d'éléphant, mais d'autres sales bêtes. .
Mais un obstacle se dresse tout à coup devant notre marche sur l'OuddaÏ, c'est que: par dépêche Mlle du 5 Juillet dernier, comme à Yao fin septembre, nous apprenons que le Tchad n'est plus territoire militaire et que désormais l'administration civile régnera en maitresse dans la colonie des Pays et Protectorats du Tchad - Colonie que le Ministre des Colonies déclare de son pavillon de Flore pacifiée et productive - Il y a de quoi rire! qu'il y vienne donc voir M. DOUMERGUE, mais qu'il ait le soin de se faire suivre de cartouches et de conserves alimentaires.
Ainsi donc, quand se fera l'Ouadaï? Je ne le sais.
Je reviens à ÀCYL et à sa réception originale.
II a faif exécuter devant nous et y a pris part lui-même, une "fantasia" par ses chefs. Tous, au galop furieux, de leurs chevaux, burnous au vent, tapis brodés, brandissant sabres, lances, sagaïes, passaient et repassaient par groupes. "Pauvres jarrets des chevaux, ceux-ci sont arrêtés net et sec au milieu de leur courses."
Nous avons pris ensuite possession d'un petit camp préparé pour nous: cases en cannes où le soleil entre comme chez lui et où je suis obligé de faire la sieste avec mon casque sur la tête. Hommes et chevaux ont abondamment à manger aujourd'hui;c'est le sultan qui fournit
Ce que j'accueille fort bien, c'est le "moussé" où "pipi", boisson du pays faite avec du mil, qui nous arrive dans de pleines ""broumas", cruches en terre, (bière fermentée) J'en bois largement.
Le soir, nous nous rendons chez le sultan; un chef est venu nous chercher. A notre arrivée, bruit furieux du tam-tam. Avant de pénétrer chez le sultan, ou plutôt, à la lere porte du bakan, ce chef pose son turban et ses chaussures à terre, et ainsi nu-tête et nu-pieds, pénètre dans les cases du maître, car nous suivons un dédale de cases et de petits couloirs avant d'arriver à la case d'AGYL,
Nous y voilà! Le sultan est nonchalamment allongé sur un tapis à terre et sur 2 énormes coussins, il ne se lève pas. Autour de lui quelques principaux chefs. Nous serrons la main à ACYL, qui nous salue en murmurant des salam ! et en se battant la poitrine plusieurs fois avec les mains. On nous fait asseoir sur une sorte de lit. D'autres chefs entrent toujours nu-tête et nu-pieds, tout ce monde s'asseoit par terre et se range dans le fond de la case; 2 Eunuques entrent aussi, ce sont 2 hommes énormes, gras comme des moines, gardiens des femmes du sultan! La conversation s'engage. Le sultan est content da notre visite chez lui, il voudrait que l'Escadron entier vienne camper à ATi, village aux environs de son tata. Le capitaine lui dit qu'i1 peut faire savoir aux Ouadaïns que les blancs et leurs soldats sont venus le voir et qu'ils sont avec lui et que nous retournerons bientôt !
Ce retour s'accomplira-t'il? M. l'Administrateur du Tchad, prévenu par la dépèche du 5 Juillet, en décidera :
Je doute fort qu'il donne l'ordre de marcher sur l'Ouadaï. Tant pis car ACYL se croira trompé et se tournera contre nous,
Nous quittons le sultan et rentrons au campement. Le lendemain matin nos spahis exécutent des feux et manoeuvrent devant le sultan qui fait faire une nouvelle fantasia. Le lendemain, départ pour Yao. Nous partons tard, nos 2 boeufs porteurs ayant été enlevés par l'homme - un Ouadaïen - proposé à leur garde.. le sultan nous en fournit d'autres ainsi qu'un troupeau de moutons et quelques boeufs.
Le retour s'effectue par un autre sentier qu'à l'aller; la 1ère journée est particulièrement pénible, avec un soleil de plomb nous manquons d'eau toute la journée, nous faisons la cuisine à sec, impossible de faire le café. Le soir, nous atteignons le Bar-Bah-ià, la rivière avait heureusement un peu d'eau claire à cet endroit. Nous y couchons, le lendemain, nous trouvons un marigot vers midi et nous prenons un bon campement le soir. Comme il n'était pas très tard, je pars à la chasse avec le trompette Pinon et un boy, dans le but d'améliorer notre repas. Nous parcourons environs 15km de brousse, armés de nos carabines 90, nous attachant à suivre des traces de lion et de rhinocéros que nous ne trouvons pas. Nous allions gaiement ainsi, oubliant la pintade, sans nous soucier de la désagréable surprise que nous eut sans doute fait la rencontre de ces animaux. Bref, nous rentrons bredouille, sans même rencontrer une antilope, n'ayant vu que des singes qui nous regardaient curieusement, assis sur leur derrière sur les arbres, et nous étant bien déchiré les mains et les effets dans la brousse. Pour comble de bonheur, nous avons à peine le temps de manger: un orage épouvantable se lève tout à coup, dure presque toute la nuit et nous mouille jusqu'aux os. Je ne dors pas du tout cette nuit-là, mes camarades non plus d'ailleurs. Avec la pluie, nous entendons des hurlements épouvantables: près de nous ou étaient parqués nos moutons, une panthère vient à cinq reprises différentes, ne réussit à enlever que deux moutons, chassée par les spahis de garde. Alarme dans le campement cette nuit-là, les noirs savent bien que s'il n'y avait pas de moutons, ils auraient à garder leur peau contre la panthère, Nous couchions au bord de la rivière; j'entends près de là un bruit insolite, il faisait nuit noire et la pluie tombait toujours. J'appelle le spahi de faction pour attiser le feu près de nous. Il arrive et me dît: "Baah, schrob, grippé" c'est-à-dire "J'entends le lion qui boit là tout près". C'était complet ce soir-là. Puis l'animal a cessé tout bruit et ne nous a pas inquiétés davantage; il flairait quelque bon potage mais les grands feux du campements l'ont tenu éloigné.
Départ de bonne heure le lendemain, nous fumes vite secs, le soleil est matinal et vite chaud.
Le 6 Octobre, nous rentrons à Yao, J'étais enchanté de ma première sortie, ça distrait, malgré la fatigue.
Mais je serais plus content encore si la prochaine sortie nous menait dans l'Ouadaf et si je pouvais chauffer le canon de ma petite carabine 90 sur cette race de nègres,peu hospitalière.
Octobre J'attends ce bon moment.
Le 10 Octobre est arrivé. Rien de plus à noter de curieux pour ce mois écoulé. La relève n' arrive toujours pas pour la cavalerie. Les cadres de l'Infanterie ont déjà leur remplaçant pourtant et sont sur le chemin de France ! Le nouveau Capitaine de Cavalerie, ses 2 lieutenants, le vétérinaire, le Maréchal des Logis chef et un autre Maréchal des Logis annoncés, ainsi que le trompette et le sellier sont attendus avsc impatience, mais où sont-ils à cette heure?
S'ils ont quitté la France le 15 Mai, un mois après CORNUT et moi, ils devraient pourtant arriver bientôt.
J'ai reçu ce mois-ci une bonne nouvelle: mon admission à l'Ecole de Cavalerie de Saumur qui date du 4 Juin. J'ai été reçu à la suite des examens écrits et oraux que j'ai passés à Marseille en Janvier et Mars. J'ai quitté aussitôt mon galon de Maréchal des Logis que je portais depuis 8 ans et qui demandait à être remplacé. !! Je crains fort qu'on me rappelle en France pour suivre mon cours à Saumur. Au fond à l'heure actuelle, avec l'avènement à la Colonie de l'Administration civile, qui compromet sûrement toute opération militaire - en vue - je regretterai moins de quitter le Tchad avant la fin de mon séjour. Rien à espérer; inutile donc de crever de faim à Yao..,
8bre. - Bonne Journée, un convoi arrive de Fort Lamy à 1 heure, nous ravitaillant complètement de notre ration Jusqu'à fin Novembre. Nous allons pouvoir reboire du café!
Le Commandant LARGEAU, qui, avant la dépêche Mlle du 5 Juillet était venu au Tchad comme Commandant supérieur des troupes, écrit au Capitaine de l'Escadron que pour le moment 2 problèmes se posent: Qui commandera?- Quelle politique suivra-t-on?
8bre. - Un courrier urgent arrivé à midi de Fort Lamy: le capitaine apprend avec mécontentement que son remplaçant, le Capitaine Durand a manqué le bateau du 15 Juin en France! Le capitaine ne sera donc parti qu'en Juillet. Par contre, arriveront bientôt M. LEBAS ,lieutenant, le Vétérinaire, le chef, 1 Maréchal des Logis, 1 trompette, le sellier, qui se sont embarqués en Juin.
Un Lieutenant M. BOURET a déjà été dirigé sur le KANEM pour remplacer M. DUPERTUIS. Le Commandant écrit au Capitaine que: "Nous ne marcherons pas". Comme la vie est impossible à Yao, le Commandant parle de nous envoyer au Kanem, mais il se demande quelles conséquences aura l'abandon du sultan ACYL, et des promesses qu'on lui a faites?
Celui-ci ne sera certes pas ravi du fait et va chercher avec d'autres sultans du coin une combinaison qui pourrait ne pas nous être agréable.
-. A 3 heures ce jour, le Capitaine CORNUT et moi avec 40 spahis nous quittons le camp, nous allons faire une reconnaissance au MEDOGGO, région placée sous la surveillance du Capitaine DANGEVILLE.
Vient avec nous, pour servir d'intermédiaire avec les indigènes, le sultan de Yao , ASSEM et sa suite, une cinquantaine de soldats. Nous couchons le même jour à DJENOLADI, pauvre petit village Bélala à 15km de Yao,
- Départ à 6 heures, passage à TCHECHoU où nous trouvons un peu de mil pour nos chevaux, coucher à DOLKO,
- Départ à 6 heures, passage à MIGNI, village juché sur la montagne du même nom. Les habitants prennent la fuite à notre arrivée. Le sultan parvient à nous faire procurer 3 moutons, c'est maigre pour assurer notre noùrriture, celle des spahis, des boys. Pas de mil pour nos chevaux,les spahis en coupent sur pieds.
Nous campons auprès d'un marigot jusqu' à 3 heures de l' après-midi, et partons ensuite sur DJAHIA- Arrivée à Djahia vers 6h du soir.
Djahia est le nom d'une chaîne de montagnes, comprenant deux massifs principaux, reliés par un col.
Faites de rochers, de blocs énormes accumulés les uns sur les autres, la montagne de Djahia est très abrupte, d'accès très difficile, on n'y voit aucun sentier et pourtant cette montagne est entièrement habitée. Sa crête sur toute la longueur doit former de grandes cuvettes, car 5 villages peuplés de KIRDIS occupent ces sommets.Ils sont invisibles du pied de la montagne.
Mais ici, une surprise nous attendait. Les Kirdis n'ont pas fui; ils nous attendent, au contraire avec l'attitude de gens prêts à combattre.
De tous cotés, au-dessus de nos têtes, derrière d'énormes pierres on voit émerger des têtes d'hommes et des sagaïes. Leur position est bien prise, forte, car ils sont en haut et abrités, leur intention est bien arrêtée: ne pas nous recevoir chez eux.
Nous la trouvons mauvaise, vu que nous venons ici nullement pour combattre mais en simple tournée de région.
Devant cette attitude insolente, le Capitaine fait rester tout le monde l'arme aux pieds et commence d'abord par parlementer. L'ascension de la montagne était d'ailleurs chose impossible, chaque rocher cachant plusieurs sagaïes, et notre effectif étant, en outre, trop restreint pour pouvoir assurer et la garde des chevaux et l'escalade.
L'homme envoyé par le Capitaine, un noir comme les Kirdis,pour assurer les gens des villages de nos bonnes intentions et leur porter "l'Aman* (synonyme de paix) revint une heure après et nous déclara que les Kirdis se montraient heureux que nous ne soyons pas venus pour les combattre et qu'ils allaient nous faire descendre eau et mil pour nos hommes et nos chevaux. Sur cette assurance, le Capitaine porte ses hommes à 150m environ du pied de la montagne, dans un endroit débroussaillé; ordre est donné de desseller et de s'établir pour la nuit.
Malgré leur réponse, les Kirdis n'avaient quitté ni leur poste ni leurs sagaies, aussi le Capitaine fit-il prendre à sa petite troupe des dispositions de sûreté, bien nous en prit...
Les spahis sont placés en carré, 3 faces de 9 hommes et la 4° composée du poste de police. En avant des faces, et sur la limite du débroussaillement, un petit poste de 3 hommes, 3 feux sont allumés sur chaque face, car il fait déjà nuit. Les chevaux, attachés par leurs entraves, au centre du carré. Du côté des Kirdis, rien ne vient. Il y a déjà longtemps pourtant que le 1er parlementaire est revenu. Le Capitaine en envoie un deuxième car hommes et chevaux meurent de soif. Le nouvel envoyé porte encore "l'aman" et va réclamer l'eau et le mil promis. Environ une heure, après celui-ci revient, portant au Capitaine cette réponse des Kirdis: "II est trop tard maintenant, le chëf du village ne veut Pas descendre; demaîn matin, on vous enverra l'eau et le mil..."
Ce changement ne me dit rien qui vaille. De plus, nous nous passâmes de manger et de boire ce soir-là; noa braves spahis et nos pauvres chevaux en firent autant.
"Qui dort dîne" dit le proverbe. Oui, mais ce n'était ni le moment ni l'heure de l'appliquer. Tout le monde le comprit, heureusement, personne des nôtres ne s' endormit Seuls, les Boulalas sujets du sultan ASSEM qui nous accompagnait et qui s'étaient établis sur le prolongement d'une face au nombre de 50 environ , piquèrent la romance...
Je m'allongeais sur ma natte, sans fermer l'oeil, ma carabine chargée et à portée de ma main... II devait être minuit, les feux, faute de bois, languissaient sans trop nous éclairer quand subitement, un potin infernal des cris et des coups de fusil se font entendre et en un clin d'oeil, nous sommes tous debout...C'était l'attaque !
A la fois, sur chaque face, débouchent de la brousse et de la montagne, sans aucun bruit, et sans qu'on n'ait pu les voir, environ 500 Kirdis armés de leurs sagaies qui, profitant de la nuit voulurent nous "zigouiller".
Immédiatement, CORNUT et moi nous nous postâmes sur la face de notre peloton. Mes 9 spahis tiraient déjà sur cette ligne humaine que l'on voyait à peine. La voix du Capitaine ordonne les feux de salve. Sur chaque face et rapidement exécutés, on perçoit le "brrrouu" régulier de nos bons 90 qui doivent coucher à terre de nombreux Kirdis. C'est ce qui leur fiche la frousse, car ils n'avancent pas jusqu'au carré, quoique supérieurs en nombre. Malheureusement la panique va se loger chez nos chevaux: pendant la fusillade, plusieurs d'entre eux, cassant leurs entraves, fichent le camp dans la brousse. J'en voie passer près de moi, mais j'apprécie que ça n'est guère le moment de les retenir. Je puis dire que jusqu'à ce moment précis un peu plus d'un quart d'heure s'était écoulé, je considère ce laps de temps comme la première phase de l'attaque, car il y eut une deuxième phase qui eut pu nous être fatale, voici comment:
Les assaillants de chacune des faces, d'abord repoussés par les feux nourris, cachés par la brousse et la nuit noire, se portèrent ensemble du côté de la face où se trouvaient les Boulalas. Ceux-ci, désagréablement surpris pendant leur sommeil, ne tinrent pas bon a l'attaque; quelques-uns étaient armés de sagaies et d'autres de fusils à piston.
Ce fut l'attaque, aussi soudaine que la première, de tous les Kirdis à la fois, masse compacte et hurlante se jetant sur une seule face du carré.
Les feux des spahis de cette face furent impuissants à arrêter cette vague humaine, surtout que les Boulalas n'ayant pu se reprendre cédèrent bien vite à la poussée d'une ligne de fers au bout de sagaies. Mauvais moment alors, cette face ouverte et les Boulalas qui eussent pu amener le désordre. Des coups de fusil partaient de toutes parts, au jugé bien entendu, nous n'avions pas perdu le calme et le sang froid, mais en ces quelques minu
tes de cris, de hurlements poussés par les Kirdis et de coups de feu qui frappaient l'air, nous subissions tous un calme quelque peu agité.
Voyant et jugeant d'un coup d'oeil la situation, le brigadier indigène CANDE-DIALO qui commandait la face voisine de celle attaquée, fit faire une conversion à ses spahis et amena ainsi sa ligne de feux sur la masse grouillante qui entrait dans le carré. Ce fut une excellente idée, car les Kirdis, frappés à chaud et à bout portant, appuyèrent, ainsi secoués, du coté opposé, tournant le carré de nos chevaux et s'enfuirent par un angle vide. Ce fut le signal de leur déroute, tous suivirent le même chemin, affolés, disparaissant dans la brousse où nous les poursuivîmes de nos feux. J'eus la satisfaction de les voir défiler tout près la face que je commandais et de leur infliger quelques bons
feux de salve .
Ainsi put finir, ce combat de nuit, où nous réussîmes, heureusement à éviter un désastre, Les Kirdis regagnèrent sans doute leurs repaires dans la montagne, l'obscurité régnait toujours... Tout ce que je viens de citer s'était passé en une demi-heure environ.
Le Capitaine vint vers nous, nous n'étions ni tués ni blessés.
On se reforme aussitôt solidement pour parer à une nouvelle attaque. C'est ainsi que, à partir de ce moment, il devait être une heure environ, jusqu'au lever du jour, vers 5 heures, nous restâmes à nos places respectives, dans la position du tireur..... On entendait les voix et surtout les plaintes des Kirdis, leur tam-tam de guerre également, mais la première épreuve leur avait suffi, ils ne firent pas une nouvelle attaque. L'obscurité devenant de plus en plus profonde, je fais mettre le feu à la brousse du coté que j'occupais, aussitôt de grandes lueurs se levèrent, et nous pûmes voir hommes et chevaux, blessés ou tués jonchant le sol. Jusqu'au matin, il fallut nous garder, et nous ne pûmes en aucune sorte nous occuper des blessés. De plus, c'était bien simple, aucun médicament sur nous. Nous n'étions pas partis pour livrer bataille.
J'avoue que je n'aie éprouvé aucune émotion quelconque durant cette demi-heure de lutte acharnée, cela tient sans doute à la soudaineté de l'attaque et à aucune préparation de moi-même au combat ... Partant , pas de temps de réflexion, donc pas d'émotion. A
l*action de suite.
Les heures d'attente sur le qui-vive, jusqu'au jour, me parurent bien longues, car j'entendais des plaintes des hommes blessés et les râles des chevaux éventrés par les sagaies.
Le jour arriva enfin, nous découvrant le triste tableau en petit de ce que doit être un vrai champ de bataille ou des milliers d'hommeS ont combattu !...
Nous cherchons vivement nos blessés: un seul spahi a été tué, 2 boys blessés. J'oubliais le spahi SELLTNE, blessé àl'oeil droit d'un coup de sagaie.
2 de nos chevaux sont tués et 14 chevaux ont pris la fuite. Les Boulalas du sultan ASSEM ont été plus éprouvés: 8 des leur sont tués, et ils ont aussi 8 chevaux de tués.
Ne craignant plus le retour des Kirdis, dont quelques-uns cachés derrière leurs rochers montrent la tête, on opère à l'ensevelissement des morts. Cette triste cérémonie terminée, il ne reste sur le champ de bataille que les Kirdis tués, ils sont plusieurs qui sont venus tomber sur nos lignes, c'est pourquoi ils y sont restés; les autres blessés ou tués ont été emportés, grâce à l'obscurité par leurs camarades. Je suis convaincu que. les Kirdis ont subi des pertes énormes, si je m'en rapporte aux larges traces de sang que j'ai vues sur les premières pierres de la montagne, le matin, quand me rapprochant de celle-ci, je cherchais a descendre avec ma carabine les quelques nègres qui se montraient un peu
trop au sommet. Ils ont donc emporté un grand nombre des leurs, blessés ou tués, c'est aussi ce résultat qui les a retenus pour une nouvelle attaque et c'est aussi parce qu'il en manquait à l'appel que toute la nuit j'entendais les cris des femmes du village. Cette sale négraille n'a eu que ce qu'elle a cherché, car chez eux, leur intention de nous attaquer était préméditée et leurs mensonges deux fois répétés en voulant nous faire croire qu'ils nous donneraient de l'eau et du mil, n'étaient fait que pour gagner du temps et nous surprendre.
Ils ont voulu, en effet, commencer par nous apporter les fourchettes, sous la figure des sagaies, pour le repas du lendemain; mais, lâches Kirdis, cela n'a pas pris avec les Nasarras ("blancs")
Nous n'avions plus rien à faire sur la place, dans l'impossibilité de déloger les Kirdis de leurs repaires. De plus, avec l'estomac vide chez tous depuis près de 24 heures, ayant surtout une soif ardente, et ne connaissant auprès de nous ni eau ni mil il fallait s'en aller chercher ces deux réparateurs......
Toute la nuit d'ailleurs, les Kirdis avaient employé leur télégraphe avec leurs voisins de MATAÏA, situés à 30 kilomètres de là. Cette télégraphie sans fil se pratique chez les noirs, aux moyens de grands feux et par moments, la flammne a des oscillations peu naturelles, Ces feux allumés sur le sommet de la montagne Djahia avaient été vus des Kindis de Mataïa, qui eux aussi de leur hauteur, télégraphiaient par des feux (30km environ).
Le Capitaine avait bien vu toute cette comédie-là et m'en fit part le matin. Il était prudent de quitter Djahia avant que les Kirdis de Mataïa ne se décidassent à venir combiner leurs efforts avec leurs amis de Djahia.
On sella les chevaux qui restaient, les cavaliers démontés partirent à pied et nous reprîmes la route de retour, la même qu'à l'aller, sentier étroit où l'on ne marche que par un et où les épines vous déchirent les effets.
Quelques blessés mourants des Boulalas furent portés sur des brancards improvisés, un de ces hommes que j'avais soigné comme faire se peut avec mon paquet de pansement individuel réglementaire, qui me servit à lui fermer une large ouverture béante, faite par une sagaie au bas-ventre et d'où sortaient les intestins, ce même blessé, dis-je, arriva mort à la halte.
C'est donc ainsi, que dans la nuit du 26 au 27 Octobre je reçus le baptême du feu.
Le 30 Octobre, nous rentrions au camp de Yao. Le Capitaine CORNUT et moi, saints et saufs.
Aussitôt, le Capitaine prit les dispositions pour s'assurer la prise du sultan ABDERAMAN chef des Kirdis, prévenant pour cela le sultan ACYL, chef de ce dernier, qu'il ait à renvoyer le plus tôt possible les chevaux qui avaient fui et les quelques couvertures à cheval et 2 sabres que nous avaient volés les Kirdis et surtout de nous remettre le sultan ABDERAMAN. Que ferons-nous par la suite? Il est difficile de le prévoir, puisqu'en ce pays pacifié, dit-on, un Capitaine en tournée de police avec 40 Spahis, se voit refuser toute nourriture et attaquer en pleine nuit !! mais la consigne est aujourd'hui celle-ci au Tchad: "La sagesse commande d'attendre ". Le rôle à jouer est celui d'une "surveillance pacifique". C'est dommage que les noirs du territoire l'ignorent, peut-être, s'ils le savaient, se rangeraient-ils à ces trop sages prescriptions...
Tels sont les faits. Ils sont indéniables, j'en suis un témoin .
- Arrivée à Yao du Maréchal des Logis CROTEL, qui fait partie de la relève. Il nous apprend que le Lieutenant LEBAS est à quelques jours derrière lui, avec le sellier.
- Cette nuit, une panthère vient nous enlever un jeune Veau. J'ai été éveillé subitement par le coup de fusil tiré par la sentinelle sur la panthère. Ma case est voisine du poste et ce coup de fusil a rompu mon sommeil.
Arrivée au camp du Lieutenant LEBAS et du sellier BOZOf. Nous voilà maintenant 7 blancs au poste.
9bre. _ je trouve mon saint Patron mis sur le calendrier: Saint CHARLES, mais je ne puis même pas offrir un verre de vin aux camarades, la ration seule emplit nos bouteilles. Devant cette bonne raison, je ne dis rien.
_ Arrivée de 9 chevaux perdus à Bjahia que nous envoie le sultan ACYL. Chacals et hyènes ont hurlé toute la nuit autour du camp où un cheval mort avait été déposé. Bons agents de la voirie que ces animaux-là, ce matin, le cheval avait disparu !...
Octobre. - Ces Jours-ci, nous avons dû faire creuser deux puits: l'eau manquait dans les mares, la lagune est à sec . L'eau des puits est très claire et bonne. c*est une joie pour nous, car il y a longtemps que nous buvons de l'eau sale.
9bre. - Arrivée de notre nouveau Capitaine CDT M. DURAND et du Maréchal des Logis PLOUCHART. Joie pour le Capitaine DANGEVILLE, qui va enfin pouvoir rentrer en France , ainsi que le Trompette PINON.
Nous apprenons que le Vétérinaire M. MAIRE et le Trompette SAINT SEVAN sont partis pour le Kanem, où nous allons tous aller sauf le peloton du Lieutenant LEBAS quî reste dans la région.
Nous quitterons Yao Avec plaisir le 1er Décembre je croîs, pour aller à N'Gouri et de là sur les bords du lac Tchad.
- Départ du Capitaine DANGEVILLE et du Trompette PINON. L'Escadron possède actuellement tous ses cadres Èuropéens.
En nous rendant au Kanem, il était question d'aller razzier les Krédas, mais il nous faut y renoncer, nos chevaux n'étant pas en état de marcher, ils ne mangent que de l'herbe depuis plusieurs mois.
- Préparatifs de départ J'ai été voir le sultan ce matin pour acheter un boeuf porteur sur lequel ma femme "Mme Fatmé" montera pour faire la route.(tout européen a droit à une femme indigène et touche pour elle la ration).
- J'ai reçu mon boeuf "torr" au prix de deux boubous (sorte de vêtement de coton) ! Ce n'est vraiment pas cher !... .
1Xbre. - Départ de Yao à six heures du matin, nous laissons le premier peloton qui doit aller s'établir à BEDANGA, sous le commandement du Lieutenant LEBAS, le Maréchal des Logis CROTEL reste avec lui. Ce peloton a reçu des instructions spéciales. Après avoir rendu les honneurs en signe d'adieux à notre camarade FOUCHÈ dont la tombe est voisine du camp, nous nous mettons en route. Mon peloton, le troisième, compte 28 indigènes et toute la smala, c'est-à-dire pour mon peloton seulement 48 femmes, 5 enfants, 25 boys, 14 boeufs, 2 vaches et quelques ânes. Ce bétail est la propriété de mes spahis et tout ce monde-là forme un convoi qui n'en finit plus. L'Escadron a pour son matériel et les bagages des Européens 20 boeufs. Très curieux à voir ce défilé de femmes montées sur leurs boeufs, disparaissant au milieu de nattes, paniers et calebasses (le matériel du ménage), d'autres femmes moins privilégiées, marchant à pied, portant leur enfant sur le dos, et sur la tête un volumineux paquet qui atteint presque un mètre de haut; les boys à demi-nus, portant la gherba pleine d'eau; d'autres boeufs, des bourricots, des moutons,..bref toute une horde de bêtes et de gens rappelant un peu ces hordes guerrières du temps des combats Homériques!!!
Nous avons couché le soir à MELME grand village de 150 cases; le sultan Yaoua nous fournit un peu de mil pour nos spahis et nos chevaux et quelques poulets pour les blancs . Melmé est à 2 km de Yao ,
2 Xbre. - Nous quittons MELMÈ à 5 heures 1/2. Après 4 heures de marche,nous arrivons à TCHOKOLO, ayant trouvé sur notre route 3 villages abandonnés. Les habitants avaient pris la fuite, prévenus de notre arrivée. Là nous trouvons un puits d'eau potable. Départ de ce point à 8 heures du soir, nous marchons toute la nuit Jusqu'à 4 heures du matin pour arriver au village de ASSANI, que nous trouvons désert. Puits et mare nous permettent d'abreuver hommes et chevaux.
4 Xbre. - Départ dans l'après-midi pour HAOUNI; 2 heures de marche. Haouni, grand village de 100 cases en paille, au pied d'une colline de rochers, troupeaux de moutons et de boeufs; une mare et un puits.
6 Xbre. - Nous quittons Haouni à 7 heures du soir pour nous rendre à MOÏTO. Nous marchons pendant 12 heures de nuit jusqu'à 7 heures du matin. Le sentier, comme partout ici, viable pour un seul cavalier, est bordé pendant longtemps d'arbres épineux. J'ai eu de la peine cette nuit-là pour lutter contre le sommeil; je dormais à cheval et j'étais éveillé souvent par les épines qui me labouraient le visage. J'avais à l'arrivée, une égratignure profonde qui allait de l'oeil au cou. Nous avons fait cette nuit près de 60 km. Le premier village, au pied d'une montagne, est à 9 heures de marche de Haouni. Arrivée à MOÏTO grand village, vers 7h du matin. Nous sommes maintenant dans le BAGUIRMI; l'alifat de Moïto est sous l'autorité du sultan GAOURAN. Ce village est riche en mil et en troupeaux. II y a de nombreux puits d'eau potable.
Nous trouvons ici, de la part des habitants, un bon accueil.
Un fort ravitaillement de mil, préparé pour l'Escadron à Moïto nous oblige à rester trois Jours au village..
Xbre séjour à Moïto. Campement au pied de la colline où souffle toute la nuit un vent furieux: les nuits sont très froides, nos spahis se sont construits des abris et allument des feux. C'est ainsi que dans la nuit du 6 au 7 nous fûmes réveillés par des détonations. Je me lève surpris, car à Moïto, nous étions en pays sût, que s'était-il passé? Le feu avait pris dans la case de mon maréchal des Logis indigène devorant carabine, cartouchière dont les cartouches faisaient explosion, et tout ce qui se trouvait là. Affolé, mon sacré DEMBA-KAMALA, c'est le nom de mon Maréchal sénégalais, quitte sa case et sa pauvre femme, couchée avec lui, est à moitié brûlée par les flammes. Elle meurt dans la matinée; la malheureuse était horrible à voir. DEMBA est consterné, heureusement pour lui qu'il lui reste son enfant, un joli bébé noir et sa seconde femme, qui n'étaient pas couchés avec lui ce soir-là.
Xbre. _ Départ de Moïto à 7 heures du soir. Scène déchirante par les femmes des spahis qui doivent laisser leur amie brûlée, la femme de DEMBA, le tableau est curieux dans son originalité douloureuse, des femmes se roulent par terre en poussant des cris épouvantables; d'autres prennent du sable dans leurs mains et se le jettent sur la tête ou le visage, quelques-unes, plus énervées, font de vrais bonds en se laissant tomber à côté de la malheureuse victime du feu. J'autorise DEMBA à rester au campement avec les femmes d'un spahi, pour enterrer sa femme quî ne survivra pas à ses brûlures. Nous parcourons 45 km pendant la nuit. Décidément ces marches de nuit sont éreintantes, je dors et je crois bien que mon cheval en fait autant car je risque 2 ou 3 fois de me fiche par terre. Je ne suis pas le seul à dormir, car le matin, plus d'une figure apparaît marquée par les épines.
Xbre. - A 4 h du matin , nous arrivons à RAMA. Point d'eau, grande mare d'eau boueuse. Nous faisons tout de même un café détestable que j'avale volontiers, car c'est une boisson chaude mais au fond de mon quart, je trouve plus de sable que de marc de café. Nos boys allument un grand feu, car il fait froid, et nous nous endormons tous par terre, autour du feu, jusqu'à 6h 1/2, Au matin, je reconnais que le point est tout à fait charmant, la mare est grande, a beaucoup d'eau (mais elle est sale); elle est remplie de canards et de grands oiseaux qui y viennent boire. Tout autour de nous, de grands arbres font de ce coin-là un bon campement.
Nous y passons la journée, tous ayant besoin de repos. Nous envoyons chercher de l'eau buvable à quelques kilomètres de là, au village de Rama et quelques vivres. On nous apporte du lait, quelques oeufs, qui sont tous mauvais, et des poulets.
Xbre. - Le 9 à 5h 1/2 du matin, nous quittons Rama. Après 6h 1/2 de marche et après avoir passé un puits, un village, une mare, nous nous arrêtons à METOURA, qui est un campement de noirs nomades, plutôt qu'un village. Ces gens-là campent en cercle, sous des cases basses, possédant de grands troupeaux de moutons et du mil en réserve. Nous ne trouvons plus un champ de mil dans la région que nous traversons; Ici le noir ne cultive pas, c'est sa résidence d'hiver parce qu'il y a de l'eau. En été, ils habitent leur village, à côté d'autres points d'eau desséchés en ce moment et récoltent du mil. On donne à ces nomades le nom de Khozzam.
Nous campons à Métoura où ont été creusés plusieurs puits.
L'eau, assez bonne, se trouve à 10 mètres de profondeur, mais le débit de l'eau est minine, car avec nos boeufs et nos chevaux les puits sont vite à sec.
10Xbre. - Départ le 10, à 5h 45 du matin; nous nous rendons à AMAR à 3h de marche seulement. Nous avons traversé un campement de Khozzam à MAGNER, et à AMOR sont deux autres campements de ces nomades, auprès d'un petit bar dont l'eau est boueuse. Tous ces points d'eau sont merveilleux pour y camper, loin de nos yeux est maintenant la désolation nue du Fitri; ici se trouvent de grande arbres, un peu de verdure, et des oiseaux ravissants qui gazouillent toute la journée. Malheureusement, l'eau est sale, il faut la laisser reposer longtemps pour l'utiliser à la cuisson des aliments. Comme boisson, j'avale une quantité de lait que nous donnent volontiers les Kozzàm, gens un peu civilisés, moins noirs que les autres peuplades du Centre Africain, ayant beaucoup de l'Arabe dans leur race et se frottant à une demi-civilisation par leurs échanges commerciaux avec les caravanes Tripolitaines, qui viennent parfois les visiter,
Ils possèdent de nombreux troupeaux de boeufs, vaches, moutons, et des poules en quantité.
Nous sommes entrés -où tout au moins sommes-nous à proximité du DAGANA- région voisine da Kanem où nous nous rendons.
- Départ à 5 h 30 du matin. On rencontre aujourd'hui quelques petits champs de mil auprès des villages abandonnés. Nous passons près d'autres campements de Khozzam, à 0MARA-LALTAR où nous nous arrêtons pour déjeuner.
A 2h départ de ce point d'eau où l'eau des puits est potable, autre village abandonné, champ de mil. Au coucher du soleil,nous campons dans la brousse. Pas d'eau nulle part. Pendant la sieste à Omara, notre troupeau de 36 moutons nous est pris, par quelques indigènes. Le Capitaine envoie un brigadier et des spahis chercher notre troupeau ou en ramener un autre. Au milieu de la nuit, je suis éveillé par des bêlements, c'étaient nos trois hommes, qui ramenaient un troupeau de 100 et quelques têtes.. Le Capitaine garde le double des moutons qui nous avaient été volés et confie les autres au guide pour les ramener au village. Nous repartons au petit jour avec un bon troupeau de 70 moutons,sécurité contre la faîm !!
18Xbre. - A 5h30 nous nous mettons en route. Nous marchons vers le Nord.
Le sentier est en mauvais état. A 1h 1/2 de marche, nous rencontrons une petite mare desséchée, nous passons ensuite au campement de nomades du nom de ESSENADE . Nous faisons la grande halte, à ce point d'eau vers 8 h. 15 . DU dernier campement de Omara jusqu'à celui de Essenad, soit sur un parcours d'environ 32 km, l'eau manque totalement. Nous passons ensuite au campement de AB0UZE-NORA, traversons encore une mare desséchée et arrivons dans la soirée après 5h 45 de marche au campement de MASSAN. Là, grande mare avec eau pour les animaux.
La région que nous parcourons depuis le 9 a un attrait particulier, les nombreux canpements des Khozzam que l"on y rencontre rendent nos longues étapes beaucoup plus agréables. Si l'eau que l'on trouve dans les petits bars était buvable, ce serait parfait; mais cette eau est toujours boueuse. Ma foi, quand je bois à mon bidon pendant la route, je ne vois pas la saleté de l'eau et ça passe tout de même !...
13Xbre. - Départ du campement à 5h 30 du matin. Nous nous dirigeons sur MASSAKORI, toujours au Nord. Ici, la végétation change complètement, c'est-à-dire qu'au lieu de la brousse épaisse et de hautes herbes, l'oeil ne découvre que de hauts palmiers maigres et secs ne donnant pas un mètre d' ombre. Nous traversons deux mares, desséchées et après 6 heures de marche environ, nous laissons à gauche le chemin qui conduit de Fort Lamy à Massakori. Une 1/2 heure plus loin, 1e village de EL-GADEM: 40 cases en paille et troupeaux. Nous nous arrêtons quelques minutes ici, n'ayant pu le faire encore depuis le départ, faute de 2 ou 3m² d'ombrage. Le soleil est brûlant toute la journée. 3/4 d'heure de marche après El-Gadem, nous entrons au village de MASSA-KORI ou ZÔL; sultan B0UBAKEUR; beaucoup de mil sur le Bahr-el-Ghasal, à sec naturellement. La population arabe est musulmane. À 1.500m de Zol, se trouve le poste de MASSA-KORI où flottent nos 3 couleurs. Nous faisons notre entrée au poste à une heure de l'après-midi, après 7h 30' de marche. Un sergent français commande le poste avec 40 tirailleurs, nous déjeunons et pour ma part d'un excellent appétit. Je trouve avec satisfaction de l'eau claire et bonne.
Grande nouvelle au poste: Le Capitaine Ct, trouve ici un courrier du Commandant des troupes, lui apprenant que deux combats le 2 et le 4 Xbre ont été livrés à Bir-Alali, contre les partisans de SENOUSSI, qui sont venus attaquer le poste et que deux
officiers, le Capitaine FOUQUE et le Lieutenant Poupart, de l' Infanterie Coloniale ont été blessés. L'ordre est donné au Capitaine de changer de direction et de marcher immédiatement sur Bir-Alali. Le Capitaine Ct nous apprend cette nouvelle qui nous rend joyeux. Je vais enfin voir les fameux Touaregs ! Nous couchons à Massa-Kori.
14 Xbre. - Déception! Le Commandant des troupes Cdt LARGEAU, arrive ce matin au poste... 11 trouve ici un courrier satisfaisant de Bir-Alali qui le décide à donner contre-ordre à notre Capitaine. Comme il n'y a pas urgence à marcher sur Bir Alali, vu que les Touaregs ont subi des pertes énormes et se sont retirés, le Commandant prescrit au Capitaine de continuer sa route sur MADON (où nous devons passer une huitaine de jours pour donner aux hommes et chevaux un repos nécessaire) et de là nous irons à Bir-Alali.
Nous restons à Massa-Kori. Le poste a des provisions considérables de mil, les villages payant l'impôt régulièrement.
_ Départ à 5h15 du matin. Nous marchons presque continuellement dans d'immenses champs de mil. Nous traversons les villages de OUANDALA, B0U10I, LELA, nous passons au puits de SEKI, rencontrons d'autres villages DOUALA et DIOLOP à 4h de marche. Nous ne pouvons camper à Diolop faute d'eau pour abreuver nos animaux, le guide nous conduit à 2km du village où nous trouvons 3 puits donnant un grand débit d'eau, dans un carré de terrain bas où surprise ! Je vois du joli blé (ghemma) déjà sorti du sol, bien vert, dans de petits carés bien arrosés au moyen des puits. Tout près, une petite plantation de cotonniers.Je fais une ample provision de coton bien soyeux. L'eau des puits est potable, à 2m de profondeur à peine, coffrage en paille.
Nous bivouaquons près de là.
Xbre. - Départ dans la nuit, avec la lune à lh 25. Vers 5h nous trouvons un village. Le puits est au milieu d'un grand terrain vague encadré de petites élévations garnies de palmiers. Quel bel emplacement pour un hippodrome!
18 Xbre. - Nous allons bivouaquer sous des palmiers et nous avalons un quart de'café'chaud qui nous retape: Le froid est excessif, à cheval la'nuit', nous restons sous les palmiers où nous grillons toute la matinée; II m'est impossible de trouver un abri pour faire la sieste. Mieux vaut marcher que de dormir sous un palmier ou au pied d'un buisson, avec un soleil brûlant sur le caillou, même avec son casque sur la tête. A 2h, nous ressellons et en route sur MADOU, point terminus de nos étapes.
Nous n'y arrivons pas tout de même ce soir-là. A 6h, arrêt à DOUNI-DOUNI. Cette étape nous offre un aspect tout particulier. Nous suivons longtemps un chemin à flanc de coteaux, d'un coté, terrain élevé avec palmiers; de l'autre, vallée assez large pleine de grands roseaux de 4 à 5m de hauteur. L'eau abonde dans cette vallée, tantôt cachée dans les roseaux, tantôt apparaissant en larges nappes brillant sous le soleil. Par intervalle, on voit des puits, un petit village est à proximité et dans cette vallée, sûrement très fertile, on voit de petites cultures, soigneusement travaillées, de blé, de cotonniers etc.. etc.. .Le chemin contourne cette vallée, puis entre dans la brousse et reprend encore parallèlement à ces nappes d'eau. Partout des groupes de cases, une certaine activité règne près de l'eau. Nous bivouaquons au bord d'un lac; sur le plateau près de là, se trouvent plusieurs groupes de cases. Nous sommes à DOUNI-DOUNI. Il y a longtemps que je n'ai vu pareille étendue d'eau. Nous approchons du Tchad!
Nous partons à 4 heures du matin. Même terrain que la veille,
A notre vue s'étalent de grands lacs. Quand nous marchons en terrain élevé , on découvre de nombreux villages et toujours de l'eau. Nous traversons d'immenses champs de mil. La route est longue, car les lacs nous font faire de grands détours. nous arrivons enfin au village de MADOU. Le poste a été établi au bord de l'eau; on se croirait ici dans une île; tout autour de nous, on ne voit que de l'eau. Nous trouvons ici le Capitaine d'ADHEMAR, l sergent -major MERCIER; ces 2 Français reçoivent ici les approvisionnements en vivres et munitions destinés aux postes de Kanem, apportés ici par voie d'eau par la flottille "le
Blot" qui fait le service depuis Fort Lamy. Le Commandant de la flottille est M. l'Enseigne de Vaisseau ARDOUIN.
Le Vétérinaire de l'Escadron M. MAIRE a établi avant notre arrivée, avec le trompette SEVAT, un camp pour les deux pelotons. Nous trouvons des cases en paille et 2 écuries volantes. M.MAIRE n'est plus à Madou; il a été mandé en hâte à Bir-Alali pour y soigner les blessés aux combats des 2 et 4 Xbre . Il y joue le rôle du docteur qui n'existe pas. Le seul docteur qui soit venu de France avec la relève est à Fort Lamy où il est constamment malade.
Nous établissons ici spahis et chevaux. Madou devient à partir de ce jour le poste occupé par deux pelotons de l'Escadron,
Le séjour à Madou, chez les Kananbous est plus agréable que celui de Yao au Fitri chez les Boulaîas. Nos chevaux doivent surtout s'apercevoir de l'heureux changement, car ils mangent ici 4 kilos de mil par jour, ce qu'ils ne connaissaient pas au Fitri depuis 4 ou 5 mois! Quant à nous, noua voilà débarrassés de cette viande de bouc. Nous pouvons ici tuer du boeuf, manger des oeufs, des poulets et plus tard, nous pourrons sûrement nous Offrir quelques légumes de notre jardin. L'eau et la nature du sol nous permettent ce luxe-là à Madou.
Les nuits sont très froides ici. Il en sera ainsi jusqu'au mois de Février, paraît-il, mais les journées n'en sont pas moins brûlantes. Nous avons fait ces jours-ci un peu d'inston à cheval.
Aujourd'hui 24, l'ordre est donné de quitter Madou pour aller à Bir-Alali. Notre repos n'aura pas été long. Nous partirons demain 25, jour de Noel, avec les spahis et chevaux en état de supporter de nouvelles fatigues. Je ne puis emmener que 18 spahis, car j'ai 8 chevaux blessée ou malades ou plutôt bons pour la réforme. Ces pauvres bêtss ne peuvent plus se retaper. Je partirai donc avec 20 sabrés, mon trompette et moi et 18 indigènes. NOUs serons débarrassés de la smala, femmes et gosses restant à Madou ainsi que les spahis non montés faute de chevaux. L'ami CORNUT, fourrier, reste à Madou, ainsi que le sellier BOZ0N. Nous partons à l'effectif de 1 Capitaine Ct, le chef, moi, le trompette (comme français) et 39 spahis.
Ce soir, pendant que nous dînions, arrive en baleinière le Commandant de la flottille. Il a laissé "le Blot" à quelques kilomètres de Madou.
Pour nous faire revivre un moment comme en notre chère Prance nous n'oublierons pas à minuit de nous réunir autour d'un maigre souper, légèrement arrosé de notre ration de vin et d'un supplément, je dois l'avouer, du Champagne que notre Capitaine nous offre gracieusement. Allons, vieux père Noël, nous pensons à toi, même au Kanem ! Je vais me reposer en attendant le réveillon.
-A l'aurore du jour de Noël, nous avons quitté Madou. J'étais légèrement fatigué ce matin car notre réveillon s'est prolongé fort tard dans la nuit!!
Nous nous dirigeons sur N'GOURI. Nous avons établi notre bivouac ce soir près d'un grand puits d'eau potable. Un village abandonné KOULBOUKAO est à proximité.
- Départ ce matin à 5h 45'. Bon chemin, mais sablonneux, en terrain varié, nous traversons oasis, vallées et plateaux. Ceux-ci sont garnis de villages importants, DJIBILOUJÎ, riches en troupeaux, ânes, et chevaux, grandes cases, A chaque vallée la nature du sol change subitement; au sable succède la verdure, une végétation verdoyante et les puits sont nombreux, ce sont autant d'oasis. Sur les plateaux où soufflent de grands vents, l'herbe est rare; il n'y a que des arbres épineux et des palmiers nains. Nous sommes arrivés au village de N'Gouri vers 10h et nous entrions quelques minutes après au poste de Fort MILLOT, poste important commandé par un lieutenant et deux sergents avec tirailleurs; grand magasin de vivres, quantité de mil provenant de l'impôt du Cercle; environ 400 chameaux pour servir au transport des vivres sur Bir-Alali. Nous séjournons à Fort Millot où se trouve le Commandant des troupes, Aujourd'hui visite au cimetière où reposent le Capitaine MILLOT de l'Infanterie Coloniale, tué à l'ennemi le 9 Novembre 1901 et le Capitaine BABLON de la même arme, assassiné par un tirailleur en Janvier 1902. Mon ami PLOUCHART, chef à l'Escadron, ayant apporté de France une gerbe de perles que lui a remis le frère du Capitaine MILLOT,le Commandant LARGEAU et nous tous Européens réunis, déposons cet ornement sur la tombe du glorieux Capitaine. En quelques paroles émues,le Commandant retrace la carrière de ce soldat qui a payé le premier de son sang la conquête du Kanem.
Nous avons quitté Fort MILLOT ce soir a 2 heures 1/2. A 4h, nous avons établi le bivouac à GOURTALA, village important; oasis et puits. Le Commandant des troupes marche avec la colonne .
28 Xbre. - A 6h du matin, nous nous sommes mis en route, toujours vers le Nord même terrain sablonneux et accidenté. Oasis dans les vallées ou les villages environnants font paître moutons, boeufs et chameaux. Culture: mil, coton. Plusieurs villages sont abandonnés. A 11h, village de BENI-BASSA, également abandonné; 4 puits avec fort débit nous permettent de nous établir dans ce lieu.
29 Xbre. - Le vent a soufflé violemment toute la nuit, la température a baissé sensiblement depuis quelques jours, tous nos hommes se mettent en route le matin avec le couvre-pieds sur le dos. J'en fais autant, car j'ai été gelé toute la nuit sur ma natte. Nous avons trouvé pendant deux heures une grande plaine nue, sablonneuse, puis de nouveau le terrain ondulé et vers la fin de l'étape, le chemin a longé une grands oasis de verdure avec dattiers d'une hauteur extraordinaire. Très curieux cette végétation splendide, ce terrain de verdure succédant tout à coup à une nudité de sable où de loin en loin on n'aperçoit que quelques petits arbres. Nous campons ce soir à l'MAHO, village important où l'alifat et ses gens viennent saluer les Français en nous offrant des provisions: boeuf et lait, mil pour les indigènes.
Nous quittons Maho à 6h 30'. Même nature du sol. Après 3h de marche, oasis et 1h 1/2 après village abandonné KOROFOU; nous nous arrêtons pour prendre le repas froid. Je conduis la colonne dans l'oasis à 800m de là pour abreuver hommes et chevaux. Notre convoi de chameaux (92) portant du mil file sur Bir-Àlali. Il est midi, le soleil nous réchauffe; pas d'ombre nulle part, aucun arbre. Nous déjeunons dans une case. Le Capitaine FOUQUE (remis de ses blessures reçues au combat du 4) est venu à notre rencontre avec M. l'Interprète BAUDIN. Nous déjeunons tous ensemble avec la traditionnelle boîte à sardines, et la viande froide et nous repartons à 2 heures.
A lh de Korofou, nous apercevons déjà le drapeau du poste, de Bir Alali,nous sommes pourtant encore à lh de marche, mais nos 3 couleurs battent l'air à une bonne hauteur grâce à un tronc de palmier servant de mat, droit et haut de 10 mètres. A 4k, nous entrons dans le poste appelé Fort PRADIÈ. Me voilà enfin dans le poste extrême du Kanem, à Bir Alali, siège de toutes les attaques des Touaregs, en ce champ de sable rendu glorieux déjà par la belle défense des nôtres dans une série de combats où nos tirailleurs et spahis, énergiquement commandés par les officiers et sous-officiers Européens (Infanterie Coloniale et Cavalerie) ont été victorieux contre un ennemi toujours supérieur en nombre, composé des fanatiques partisans des Senoussistes Kindis, Touaregs et autres races,
Ici c'est le point terminus de notre occupation et loin, très loin derrière nous se trouve le Congo avec sa capitale Brazzaville à 3 mois de marche ! !
31 Xbre. - Devant nous, c'est le Nord, le sable, le désert!! La voie sûre
et peu facile qui conduit au Sahara Algérien; au cimetière du poste, repose le corps du Lieutenant PRADIÈ de 1'Infanterie Coloniale, tué à l'ennemi le 20 Janvier 1902, jour de la prise de Bir Alali (puits de Dieu}. Les tirailleurs au nombre de 17, tombés aux combats des 2 et 4 Xbre y reposent également. Aujourd'hui nous avons conduit en sa dernière demeure un autre tirailleur mort des suites de ses blessures. L'affaire du 2 a eu lieu à 12km du poste à Tiona au sud-est de Alali, où se trouvaient deux sections de Tirailleurs commandées par le Lieutenant POUPART, en reconnaissance. Attaquée avant le lever du jour par des forces bien supérieures, la petite troupe a passé un moment critique: les Tirailleurs (des Sénégalais pourtant réputés par leur courage) ont manqué de sang-froid devant la fusillade nourrie et inattendue des Kindis; ils se sauvaient. Grâce à l'énergie du Lieutenant et d'un sergent-major GUILLEMAIN aidés de quelques gradés indigènes, les fuyards purent être ralliés autour de leur chef et la troupe reprît l'offensive, réussissant ainsi à se frayer un passage parmi les assaillants. Elle gagna ainsi le poste où elle arriva vers midi, n'ayant que 6 hommes. Les Européens sains et saufs.
Le 4,l'ennemi s'était rapproché du poste,laissant ses chameaux dans l'oasis voisine; les hommes, profitant de la nuit, creusèrent des tranchées à 100m du poste, dissimulés derrière un mouvement de terrain.
Pleins de leur foi religieuse, les fanatiques, sûrs du succès, s'imaginaient qu'ils tueraient aisément nos hommes, le matin venu, lorsque ceux-ci se rendraient à l'abreuvoir! C'était ainsi qu'ils pensaient et qu'ils parlaient, car,dans la nuit, s'adressant aux blancs du poste, ils leur feraient à peu près ce langage: "Kelps de Nasarras (chiens de chrétiens) demain matin, vous n'aurez plus l'eau du puits et vous mourrez tous" Ces paroles étaient fort bien entendues du poste où, naturellement, la petite garnison avait pris ses postes du combat. Aussi, aux premières clartés du jour, les feux de salve de la face qui regardait les tranchées (coté Est) tombèrent drus sur les assaillants.
Ceux-ci répondirent et leurs balles (fusils Remington avec balles qu'ils avaient mâchées) pleuvaient sur le poste et surtout sur la "Zaouia": (construction en briques au milieu du poste, qui était autrefois leur collège religieux) L'unique pièce. du poste tira aussi mais elle ne put utiliser que deux obus: les gargousses étant toutes inutilisables! Une partie de la garnison sortit donc, Capitaine FOUQUE en tête, et tomba sur les tranchées. Ce fut une belle fusillade, paraît-il, pris en enfilade, d'une extrémité de la tranchée, tous ceux qui y étaient blottis y restèrent. Aucun d'ailleurs ne cherchait à en sortit tantle fanatisme les rendait fort. La baïonnette les acheva et dans cette lutte rapprochée, le Capitaine FOUQUE fut blessé de 4 coups de sabre (3 à la tête, 1 au cou), le lieutenant BROUCHER, légèrement blessé par une balle qui lui effleura le cou. Le peloton de spahis entra en action et poursuivit ceux qui, demeurés dans 1'oasis, fuyaient avec les chameaux. Des chameaux et tous les fusils et munitions tombèrent entra nos mains. 164 noirs comblaient les tranchées qui devinrent leurs fosses, 5 grands chefs furent tués aussi dont le principall AB0U-AGUILA (ce dernier était, m'a-t-on dit, aussi blanc qu'un Européen), Les Ouled-Slimans, Kindis et... autres sont d'ailleurs tous ainsi presque aussi blancs que nous.
Dans les deux combats, l'ennemi eût environ 250 tués., .... ,
De notre côté, 2 officiers blessés, 17 tirailleurs tués,une vingtaine blessés (spahis et tirailleurs). Les blessures occasionnées par les balles sont assez graves. J'en ai jugé en voyant les blessés. Cela tient à ce qu'elles.avaient été mâchées par les tireurs, (imitation Dum Dum).