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Chers parents...

 Me voici de retour de mon voyage dans la rivière et ainsi

que je l'annonce dans ma dernière lettre. Embarqué à

 bord de l'Africaine Frégate de l'Amiral Lainé, laquelle va

partir pour la France et j'en profite pour vous donner de

mes  nouvelles qui sont on ne peut plus bonnes

sous tous les rapports. D'abord, je me porte parfaitement

bien; ensuite, l'Africaine sera probablement de retour

 en France avant un an; et je commence fort à languir

 de ne pas vous embrasser et de ne pas recevoir

de vos nouvelles quoique je sais bien qu'il est

 matériellement impossible que j'essaye encore.

Une révolution vient de se passer ces jours-ci dans

 Montevideo et n'est même pas achevée.

Le Général Pocheco ainsi que son gouvernement

n'ont pas voulu recevoir l'ancien Général Rivera qui

est de retour du Brésil où il a passé assez longtemps.

Celui-ci a produit une protestation fort vive sur

 la violence qu'on lui faisait, mais Pocheco soutenu

 par les puissances a fait emprisonner tous les

riveristes qui ont signé une pétition demandant la rentrée

 de ce Général; alors la Légion dite française (Bon)

et les nègres se sont levés en masse et égorgeant tout

ce qu'ils peuvent prendre des partisans de Pocheco.

 C'est une révolution au petit pied qui serait

fort risible si l'on n'avait pas devant les yeux tant

 d'individus longuement ; quand aux marins français et

autres étrangers ils agissent comme si cela était naturel.

On se promène en toute sûreté en uniforme au milieu

 d'individus qui te coupent le cou (littéral: degouaillent).

Les femmes elles-mêmes vont assez tranquillement

dans les rues sans qu'on songe à les inquiéter.

Tout se passe entre  Riveristes et Pochequistes.

Les légionnaires se sont conduits  comme de vrais

sauvages aussi approuve-t'on fort la mesure qu'on a

prise de leur enlever les drapeaux et les cocardes aux

couleurs nationales. Leur Colonnel est une canaille,

tout français qu'il est.

Quand à nous, nous sommes on ne peut plus tranquille

 et si Montevideo n'était pas assiégée ce serait un séjour

 admirable. La campagne est couverte de gibiers

auxquels hélas nous ne pouvons rien aller dire car les

 sont là. Nous sommes reçus on ne peut mieux

dans les cases, mon titre de Docteur me fait accueillir

 avec joie partout où je daigne me présenter

(au royaume des aveugles, les borgnes sont rois).

Je passe pour un excellenrt musicien et bon dessinateur.

 Je chante avec applomb la romance avec

accompagnement de piano. Je fais des dessins sur

les albums, je danse la polka, je valse.

Tous titres à une bonne reception auprès des dames

 espagnoles. Aussi malgré la guerre nous avons des

soirées et des bals charmants. Je commence à

comprendre  très bien et à parler un peu l'espagnol.

 Eh bien malgré tout cela je soupire après la France

car vous n'êtes pas avec moi.

Ne manquez pas de m'écrire longuement sur ma chère

 petite Mathilde Mille choses à ma tante Thérèse,

à mes oncles Louis et Matthieu ainsi qu'à toute leur

 famille  que j'embrasse de tout coeur.

Recevez  pour vous un million de caresses.

F. Maurin