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En ouvrant le grand livre du passé sur les traces du Docteur François Maurin ancien maire du Luc

 

Il est toujours salutaire et riche d'enseignement d'ouvrir

le grand livre du passé et de faire revivre, même un

court instant, ceux qui illustrèrent un pays.

Pour cette fois ce sont les ex-votos de Notre-Dame

 des Anges qui nous serviront de guide. Ces naïfs

petits tableautins sont de véritables témoins de la vie

quotidienne et familiale de ceux qui habitèrent notre

terroir il y a un ou deux siècles, avec ses incidences,

ses angoisses, ses accidents.

C'est là-haut, sur ce sommet des Maures, où la

ferveur populaire a construit une. chapelle à laVierge

 Marie, que nous avons retrouvé la trace d'un homme,

d'un médecin, qui se dévoua sans compter pour

les habitants de la région, d'un maire qui administra

sagement la commune du Luc.

En effet, parmi tous ces ex-votos, il en. est un qui

 représente un homme en redingote noire, comme

portaient alors tous les médecins, au chevet d'un

malade auquel il prodigue ses soins. C'est le docteur

François Maurin, ancien chirurgien de la Marine, qui

fut maire du Luc sous le second Empire.

 

Une anecdote bien significative

Avant de venir s'installer definitivement au Luc,

 François Maurin avait  navigué sur toutes les mers

 du globe en tant que membre du corps des

médecins de la Marine. Il participa à de nombreuses

 campagnes au cours desquelles il se fit remarquer

 par son dévouement et son courage.

Nous avons pu rencontrer la petite fille du docteur,

 qui habite toujours Le-Luc où elle aussi est née.

Elle a bien voulu, pour nous, évoquer le souvenir

de ce grand-père pour lequel elle a une grande

vénération.

Grâce à ses souvenirs, grâce à des lettres qu'elle

nous a lues, nous avons pu suivre François Maurin

 dans ses divers embarquements, ses voyages et

les campagnes auxquelles il prit part. Actions d'éclat,

anecdotes, petite histoire mélangée à la grande,

nous voilà à plus de cent ans en arrière, suivant

un Lucois à travers le monde.

Anecdote d'abord : nous sommes à Naples à la.fin

de l'été de 1844, sur une goélette prête à recevoir

 le prince.de Joinville et le duc d'Aumale

qu'accompagne la jeune duchesse, fille du roi de

Naples.. Le temps est magnifique, le vaisseau a

hissé son grand pavois, l'équipage est dans les

haubans,les officiers, l'épée à là main, forment la

haie d'honneur. .L'embarcation des princes de

France, fils du roi Louis-Philippe, accoste . les

 voilà qui montent à la coupée avec la petite

duchesse ''très mignonne, mais plutôt laide que

 jolie, cependant fort plaisante à cause de sa

 gracieuse vivacité ».

C'est alors que se passe un fait assez drôle que

 note le docteur Maurin dans.une lettre qu'il

écrivait à sa mére. Mais laissons lui la parole..:

 « La princesse, élevée à la Cour d'un roi absolu,

 habituée à regarder comme un devoir les serviles

 salutations des officiers napolitains, passa sans

 répondre au salut que lui faisaient les officiers

français. Le duc d'Aumale s'en aperçut aussitôt et

va à elle,  la tire par la robe en disant :

«Ma bonne, fais attention ». Il la fait retourner et

saluer tous les officiers qui se trouvaient là,

jusqu'à ton serviteur... »

Petite histoire, anodine en soi, mais qui mérite d'être

 rapportée, car  elle dénote toute une époque et fait

bien ressortir la simplicité qui était de mise dans

l'entourage du roi Louis-Philippe.

Quelques années plus tard, nous retrouvons le

docteur Maurin embarqué sur le navire à vapeur;

« Gassendi», faisant route vers l'Amérique du Sud

avec les forces navales françaises envoyées pour

soutenir la ville de Montevideo assiégée par Jean

Manuel de Rosas, dictateur argentin.

En tant que médecin de la Marine, il prit une part

 active à ce conflit qui opposait. alors l'Argentine,

 l'Uruguay et le Brésil ; la France, alliée de l'Angleterre,

ayant pris fait et cause pour ces deux derniers pays,

C'est au cours de cette campagne, en 1847, que se

situe un fait qui vallut au docteur Maurin d'être, pour

la première jois, proposé pour la  Légion d'honneur.

Décoration qu'il reçut quelque quinze années plus

tard, alors qu'il était maire du Luc. Ce qui prouve qu'en

France, si les gouvernements changent, les bonnes...

 ou les mauvaises habitudes demeurent.

Un homme courageux

Nous avons sous les yeux la lettre que l'amiral

commandant la division navale en opération dans

les eaux du Brésil et de La Plata écrivait au ministre

 pour lui relater les faits et demander la Légion

d'honneur pour François Maurin.

Un jour, un matelot du bâtiment sur lequel ce dernier

était embarqué étant tombé à la mer, le Dr Maurin

excellent nageur, s'était aussitôt précipité, sans

prendre le temps de retirer ses vêtements, car déjà

l'homme disparaissait dans les flots

Après plusieurs vaines tentatives, il eut la chance de

le retrouver et le saisissant il lui maintint un moment

 la tête, hors de l'eau.. Mais les forces du sauveteur

 furent bientôt épuisées et il disparaissait à son

tour, emporté par la mer, lorsque arriva enfin une

chaloupe qui put le  recueillir ainsi que l'homme pour

lequel il avait si généreusement exposé sa vie et qu'il

n'avait pas abandonné malgré la situation désespérée

dans laquelle il se trouvait.

Retirés de l'eau sans connaissance, ils furent tous

deux promptement  réconfortés par les soins

empressés qu'on leur prodigua.

....... Mais la lettre de l'amiral Le Prédour resta sans

 effet et le docteur Maurin ne reçut pas la Légion

d'Honneur en 1847. Peut-être le ministre le trouva-t-il

trop jeune pour recevoir une décoration si appréciée

-François Maurin n'avait alors que 26 ans- pour cet

homme à tête chenue le mérite et le courage devaient

être fonction du nombre d'années.

Pourtant, le 27 décembre de cette même année 1847,

le docteur Maurin se signalait à nouveau par une

action d'éclat, dont le détail ne nous est pas parvenu.

 Mais le commandant du bâtiment sur lequel il

navigait renouvelait la demande de l'amiral Le Prédour.

Une troisième fois, en 1848 — lors de la prise de

Paysandu et de Mercedes, deux villes de l'Uruguay

qui étaient tombées aux mains du  dictateur Rosas

 — ses services exceptionnels lui valurent une

nouvelle proposition, signée cette lois, de l'Inspecteur

du Service de Santé de la Marine

Mais toutes ces demandes, ces propositions,

restèrent sans effet et le docteur François Maurin

 dut attendre près de vingt ans la récompense de

 ses actes de courage et d'abnégation.

Lorsque, quelques années plus tard, il s'installa

comme médecin au Luc, c'est avec les mêmes

qualités de cœur qu'il employa tout son savoir à

soulager la souffrance et la misère de ses concitoyens.

 

Aux pauvres, aux .humbles, aux déshérités, il donnait

 ses soins avec simplicité et génerosité, à tous il

apportait le réconfort de sa présence et de sa

 science. Maire du Luc sous le second Empire,

il s'occupa avec le même empressement, des

 affaires de la commune, non seulement en sage

administrateur, mais en homme de cœur.'Tous ceux

qui le connurent, et ils sont encore nombreux au Luc,

 puisque le docteur Maurin vécu jusqu'à un âge très

 avancé, se souviennent toujours de lui avec

émotion. Puissent-ils reconnaître dans ces quelques

lignes consacrées à sa mémoire, celui qui n'eut

 d'autre but, sa vie durant, que le bonheur et le bien

de ses compatriotes et de tous ceux qui

l'approchèrent.

M. KIEFFER