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Sous Lieutenant

                                             

3 Août.- Arrivée du courrier da France et avec lui  enfin la nouvelle de ma nomination de Sous-Lieutenant, officielle cette fois.  QUOÏ que ce soit une nouvelle prévue et attendue, j'ai été rempli de joie en lisant mon nom dans les Journaux, ma promotion et ma mise hors cadres. Je suis promu par décret du 20 Mars dernier, pour prendre rang du ler Avril. Voilà donc quatre mois que je suis officier; j'ai pris mes repas aujourd'hui à la table du Capitâiné Commandant et du Vétérinaire; le Capitaine Commandant a sorti pour l'occasion 2 1/2 de champagne et a bu à ma santé et à mon épaulette. Je quitte donc désormais la table de mes camarades; -CORNUT est heureux de ma nomination est fâché de me voir partir de la popote. Mais lui et les autres n'en restent pas moins mes amis.  Je n'ai  pas reçu ma lettre de service, ni aucune lettre officielle du Commandant  des Troupes; il est certain que j'achèverai mon séjour puisque je  suis mis hors cadres. J'aime mieux ainsi:   j'attendrai mon remplaçant et partirai donc avec ALFRED.
14 Août, - Charmante cérémonie militaire aujourd'hui en mon honneur. Le Capitaine Commandant me  présente   à l'Escadron, c'est-à-dire aux 2 pelotons 2° et 3°, tous en grande tenue,  autant qu'il est  possible  à nos pauvres spahis de  paraître  comme tels avec leurs hardes, Les Européens sont présents-   Le  Capitaine  prononce  la formule réglementaire,  fait fermer le ban et me  voilà reçu.  Cette  scène militaire a eu lieu à cheval en dehors du  camp;  M. BUREAU, Lieutenant des Marsouins du poste, en a pris un cliché avec son appareil photo.  Si ça réussit, j'en garderai volontiers un  souvenir de  cette  journée.
8 Août. - Violente  tornade ce matin:  vent et pluie.  La case où nous  déjeunons est  envahie par le sable. Le tonnerre et les éclairs se  sont succédé avec bruit infernal et lueurs d'incendie  pendant une heure   sans interruption, mais ce  qui est plus grave  que  tout encore, c'est que le vin va manquer au  poste. "Demain,  nous touchons du tafia (15 cl) en remplacement du vin, mauvaise affaire !
9 Août.  - Nouveau courrier de France, c'est-à-dire  arrivée des débris qui traînent dans les postes, très peu de  lettres, car on apprend que le vapeur a sombré aux rapides de Zinga,sur l'Oubangui.    l
Les lettres parties de France en Avril sont donc perdues, celà m'ennuie fort car le courrier devait m'apporter de nombreuses lettres, par suite de ma promotion de Sous-Lieutenant. On a dû retirer quelques tonnelets de l'eau, car je reçois et mes camarades également quelques lettres à peine  lisibles, tant le bain qu'elles ont pris les a mouillées.             
12 Août. - Veine ! Le poste d'Alali qui a dans son magasin un an de vivres d'avance, a eu l'amabilité de nous céder du vin. Nous allons reprendre nos 46cl.                           

                   
13 Août. - Un  sergent Européen arrive  à N'Gouri et repart à Alali où il doit relever l'adjudant PELISSON, qui est rapatriable.
18 Août.  - Nouveaux débris du  courrier de France:   je n'ai pas une lettre ni un seul journal; c'est désolant.
20 Août. - L'adjudant PELISS0N arrive  ce matin d'Alali il rentre en France, joyeux,   cela va sans  dire !  D'autant plus qu'il termine  ses 15 ans en rentrant. Il passe deux jours ici  et repart le  22 emportant nos lettres pour la France.
Il pleut beaucoup ce mois-ci, aussi le mil pousse à vue  d'oeil. La végétation profite aussi, on ne reconnaît plus le paysage; tout n'est que verdure autour  du poste;  les arbres de l'oasis et ceux-même de la brousse  sont verts de feuilles, l'herbe est haute et verte,  les haricots poussent  bien et vite,  toute la nature, en somme, se hâte  de vivre et de se montrer, sachant bien qu'avant deux mois,la sècheresse aura vite fait de semer la mort dans toutes les sèves ardentes aujourd'hui. Tout jaunira et deviendra sec et restera brûlé pendant neuf mois,  car la saison des pluieS pendant pendant ces trois  mois de Juin, Juillet et Août, et parfois Septembre, seuls, nous donnent le plaisir de revoir un peu de verdure, de se donner enfin tant ..soit peu, 1'illlusion de notre chère terre de France... Les oasis sont un lieu de fraîcheur  inaccoutumée, de grandes mares d' eau se sont formées, aussi femmes et enfants nègres se baignent  à plaisir. Mes chevaux eux-mêmes sont heureux de pénétrer Jusqu'aux jarrets dans cette eau fraîche, c'est leur période de Vert,  car ils mangent pendant 3 mois une herbe verte !  Ils sont en bon état d'ailleurs et goûtent un repos qui les fait retaper.  Voilà un mois que nous n'avons plus bougé et il probable qu'avant la fin  Septembre, nous n'entreprendrons rien au dehors. Nous nous contentons de faire  de l'instruction bien  sagement pour tenir en main nos spahis.
En  cette  saison même,  la chaleur ne tombe pas.  Le  thermo marque  ses 36, 40°,  suspendu à l'ombre,  au mur de  la case. Hyènes, panthères continuent aussi  de  plus belle  à faire du vacarme  la nuit. Elles rodent aux abors du poste,  car les chiens aboient furieusement  toute la nuit;  habitué à ces bruits et au  tam-tam des nègres pendant  la  lune,   je dors tout de même bien d'un bon sommeil.
7 7bre. -  Courrier de France;- Je  reçois de bonnes nouvelles de la famille de JOSEPH et des amis. Donc, bonne journée, je suis heureux et       
parcours les  journaux illustrés que  JOSEPH m' envoie ; nouvelles! Elles datent des mois d' Avril et Mai.   Pour nous, c'est  du neuf !
9 7bre.  - Arrivent  ce matin le capitaine d'ADHEMAR et ses Tirailleurs» de retour de N'Guigmi,  point sur le Tchad, rive N-E. Rien de nouveau dans ces parages, même misère que sur la rive Est, nous dit le Capitaine. N'Guigmi n'est pas du tout à proximité des eaux du lac, il en est même loin. Le Capitaine n'a pas mis plus d'un mois pour aller de N'Gouri à N'Guigmi et revenir. II y a vu surtout du lion et du rhino ! Il prévient le Capitaine que le bruit court à Mao que leS MAAISSAS (encore une tribu qui vient de faire défection au Kanem Nord et qui s'est enfuit avec armes) ou les Dogordas viendront razzier le village .Le Capitaine donne l'ordre de départ pour cette nuit.

10 7bre. -  Et nous voila a Mao depuis  ce matin  8 heures. Nous avons marché toute la nuit,   de 9h du soir à 8h le matin. Onze heures de marche ! Nos chevaux ont presque tous le dos rempli de gonfles,  gare les blessures !  On tombe de sommeil et  comme le village n'a pas du tout été attaqué,  nous  sommes tranquilles et  je vais dormir à l'ombre.
11 7bre  - Le  Capitaine nous quitte  ce matin. Il va à Bir Alali avec 4 spahis et me  laisse  le  commandement  des deux pelotons. Nous campons à 200 mètres du village  sur une  petite hauteur;  les habitants ont  cessé d'être  inquiets par notre  présence ici. Mais, comme nous sommes là,   il y a des chances pour que le village ne soit pas attaqué et nous ne verrons rien.
14 7bre.  - le Capitaine est rentré hier eoir au campement. Nous quittons Mao aujourd'hui. Naturellement,  nous n'avons pas eu à bouger pendant les quelques jours passés ici.  Le sergent Jean PIETRI d'Alali est venu ici pour commencer les constructions du nouveau poste qui doit être crée à Mao, par suite de la fusion des cercles de Kanem Nord et Sud sous un même commandement.  Le Capitaine FOUQUE et le 4° peloton de l'Escadron viendront sous peu occuper Mao, il ne restera à Alali que  60 tirailleurs environ et 5 spahis avec le Lieutenant POUPARD, enfermés dans leur "blocKaus" où ils ne s'amuseront certes pas. Le poste de Alali a été refait et entouré d'un mur par  suite de cette prochaine réduction de l'eNectif.  Je trouve que c'est bien risqué de dégarnir ainsi Bir-Alali, où de nouvelles attaques se porteront encore, les Senoussistes n'ayant pas désarmé. Je comprendrais plutôt une évacuation entière de ce point ou du Kanem Nord que le maintien d'une si faible garnison. Les renforts,  il est vrai,de Mao,  pourront gagner Alali en moins de cinq Heures  (en marche forcée).                                                                       •

15 7bre. - Nous sommes  rentrés ce matin à N'Gouri par Diara.
22 7bre. - Cette semaine a été consacrée à des séances de tir, nous brûlons des cartouches avariées qui donnent  environ 35% de ratées! Nos tirs ne  sont  pas merveilleux,  même  à 200 mètres.
23 7bre. _ ce satin, étant au champ de tir,  j'ai eu une douce  joie: un convoi de  quelques boeufs porteurs  arrivaient  de Bol chargés de quelques caisses de vin. Bonne affaire, car nous manquions de liquide depuis quelques jours!
Est arrivé aujourd'hui de Bir Alali le 4° Peloton del'Escadron avec le  Lieutenant BOURET et une  trentaine de tirailleurs méharistes aveo le Lieutenant POUPARD pour se joindre aux 2 pelotons de N'gouri pour former la colonne qui doit partir sur Koual contre les Ouled Sliman. Mais un obstacle se dresse pour notre départ: Alali n'a pas envoyé les chameaux nécessaires au convoi pour emporter le mil et les vivres;  ce poste n'en possède plus assez; de même Fort  Millot n'a que des ohameaux fatigués; il nous est impossible de partir...Le Capitaine DURAND, très ennuyé de ce contre-temps, renvoie le  détachement de Bir Alali. C'est dommage,   car nous avions cette fois-ci de grandes chances de  surprendre les Sliman chez eux, en déjouant  leur surveillance par la fusion de la colonne à N'Gouri et en nous rendant à Koual par Mondo.
28 7bre.  - Arrivée d'un courrier local. Fâcheuse nouvelle: le grand chaland de la flottille, chargé de ravitaillement a coulé sur le Chari. Adieu vin, sucre, café. Voilà que le magasïn n'a plus que quelques jours de ces trois denrées là, nous allons nous la serrer bientôt.
Autre tuyau peu amusant:  le Commandant  des Troupes décide que  je  serai maintenu  sur le  territoire  jusqu'à l'arrivée  de mon remplaçant,  quoique je  sois en plus dans les cadres comme ONicier.  Ça m'est  parfaitement égal du reste, car le remplaçant de  CORNUT et  le mien arriveront sans doute fin Décembre. Si je pars à cette date, celà me  suNit.   
29 7bre . - Dans la soirée,  nous recevons la visite  de M. CHEVALIER, chef de la Mission scientifique qui vient au Tchad. Il est seul,les deux autres membres  de  la mission sont malades à Fort Lamy.  II nous rase toute  la soirée avec ses plantes et ses cailloux,  nous raconte les trouvailles qu'il a faites. MAIRE le  fait sauter sur sa  chaise  en  lui  disant  que  près de Mondo, il a trouvé dans les oasis une matière blanche assez solide, des eNleurements,  etc... Voilà mon savant  qui  s'écrie: "Mais c'est du nitrate. J'irai  demain. Il est de ceux qui, venus dans une  colonie 5 ans après les autres s'imaginent y avoir tout découvert  les premièrs; il a découvert le Caouas,  variété de café.A ces mots,  nous nous tordons de  rire à sa barbe.  C'est encore lui qui a appris le premier le vrai secret sur la mission CRANPEL-1891. (Un journal faisait d'ailleurs ces jours-ci un compte  rendu de cette histoire enfin tirée au clair par M. CHEVALIER !! )   . Il y a beau temps que nous sommes tous fixés  ici  sur ce massacre; en passant  à NIELE, pays des El Kouti chez le petit Senoussi, j'ai vu le lieu et place du combat et comme tout bon Français, je me suis intéressé au rôle qu'ont joué mes compatriotes et j'ai interrogé à Fort Archambault des gens du pays, témoins du combat qui m'ont appris,tout comme à  M.CHSVALIRB, comment ces braves sont  tombés pour la France et la Civilisation.                                                   
30 7bre. -  M. CHEVALIER part à Mondo,  à la découverte de l'or. Un courrier de France arrive avec quelques journaux et peu de lettres. Je pense, par hasard, à noter la température, je  lis 38° au thermo suspendu à l'ombre de la porte de la case du  sergent-major MILLON.  Il était 5h de l'après-midi..  Certes,   il a déjà monté plus haut,
1er 8bre. - M.  CHEVALIER est  rentré.  Je l'aime mieux ce  soir,  car il nous oNre le  Champagne, boisson rare à Fort Millot. Voilà le chic des missions, c'est  de porter à boire  aux pauvres Coloniaux perdus dans un  coin  du Kanem ou d'autre  part. II nous quitte  demain matin et rentre en France sa mission terminée. Au fond, il dit avec nous que le Chari,le Kenem, le Tchad sont des pays qui ne valent  pas  cher. 11 n'y a rien  trouvé,   quoi!   Il m'amuse  en me disant:  "En  creusant davantage peut-être aurait-on des surprises", (sic),  Moi, je  suis  sûr qu'on trouVerait  de  l'eau  ou du  sable !!!
Un Caporal français d'Infanterie de Marine est arrivé  aujourd'hui.   Il apporte  avec lui 10,000 francs  on  thalers pour la solde des spahis.   LUDIER est heureux car  il va partir.   Ce nouvel arrivé m'apprend la mort  du Maréchal des Logis DAVID de l'Artillerie Coloniale  que  j'ai  connu bien portant  l'année dernière à Fort Lamy. Ce pauvre vieux est mort à bord en rentrant en France. Cette nouvelle m'attriste beaucoup.
6 8bre. - Aujourd'hui LUDIER et  GAUDIN  (sergent de Mondo)  quittent N'Gouri pour la France !
7 8bre. - Le capitaine Fouque est ici pour prendre la consigne du cercle du Kanem Sud, dont il va prendre le commandement avec le Kanem Nord. Le Capitaine d'ADHEMAR va aller prendre le cercle de Moïto.

10 8bre. - Départ du Capitaine FOUQUE. Son séjour au poste nous a Valu quelques dîners un peu plus soignés; invités par les marsoins, nous les avons reçus à notre tour.
18 8bre. - un boy de spahi est victime d'un accident bizarre, ce matin,
où il trouve la mort.  Creusant un trou dans une case pour en retirer du  sable fin,  le  sable a cédé sous son poids et le boy a disparu.  Un quart d'heure après, on  le retirait du trou, mais il avait  cessé de vivre .  Pauvre petit nègre !
20 8bre. - Je  rentre  de Mondo (25km de N'Gouri)   ce   soir  à 8 heures où
j'ai  été  installer un  poste  de  4 spahis pour y remplacer les tirailleurs. Mondo est un village Tonijer, son chef est le FOUGBOU.
Les Tondjer sont bien plus intelligents que les Kanembous, et leurs femmes' sont  ici plus jolies;  ils parlent l'arabe.
Mondo est le  champ de bataille de la Compagnie TRUNER avec ses Yaccomas. Il trouvaient à Mondo quelques Krédas récemment soumis. Ces noirs-là, qui jusqu'ici se sont peu frottés aux blancs sont plus ignorants et plus curieux; ainsi me voyant avec mes binocles noires,  ils m' interrogèrent  sur leur présence sur mon nez. Quant je leur eus expliqué, qu'avec ce petit objet, je pouvais regarder le soleil en face sans avoir mal aux yeux et que je  ne pouvais faire ainsi  si je le retirais, ils poussèrent des exclamations de surprise et se regardèrent tout étonnés.  Ce fut bien pire quand j'eus fixé mes binocles sur le nez  de quelques-uns d'entre eux: ils ne finissaient plus de se raconter l'eNet produit et comme
tous les noirs, ils finirent par me dire la phrase habituelle: "Nasarras arfou collou" - "Les blancs connaissent tout..."
21 8bre. - Un courrier urgent nous arrive du Commandant des Troupes, daté du 16 courant de Tchackna et ainsi conçu:  "Avant-garde ennemie occupe le Médoggo. L'invasion du Fitri par les Ouadaïens est imminente , se porter sur le Tania par Moïto avec 40 chevaux,  des vivres jusqu'au 15 Novembre inclus, 1 mois de viande sur pied."
- Le Capitaine envoie  aussitôt  chercher  des  chameaux à Bir Alali. Les  spahis du poste de Mondo   que  j'avais dû placer le 19  sont relevés par autant de spahis  malades et des chevaux indisponibles. Les ordres  sont  donnés aujourd'hui,  nous  devons partir demain 23.
23 8bre. -  C'est  le jour du départ.  Le  Capitaine,   le  Vétérinaire, CORNUT, le Tte  et moi avec 40 spahis, 19 chameaux, des vivres jusqu'au 15 9bre,  16 boeufs de viande  sur pied, avons quitté le  poste  ce matin. Dans l'ouadi  de Tintsin,  nous  rencontrons le  Capitaine JACQUIN de la batterie qui va en hâte à Alali chercher des chameaux.  ïl vient  de  Tchackna.
24 8bre.  _  A 3h 1/2 ce soir, nous sommes arrivés  à Massakory, toujours gardé par le brave  sergent ARRIGHI. Mais il nous faut boire de l'eau de la mare, le  puits n'étant pas creusé.- Nous avons croisé dans la brousse les tirailleurs, porteurs du courrier de France.. Pas moyen d'y toucher; ça nous a bien ennuyé de voir ainsi passer ces Bonnes nouvelles de France sans pouvpir les  lire.Le Capitaine laisse un mot aux tirailleurs pour le Capitaine d'ADHEMAR qui est à un jour derrière nous pour le prier de faire retourner notre courrier sur Massakory.  L'aurons-nous demain? ALFRED le voudrait bien, car ce courrier lui apportera sans doute la grande nouvelle attendue: l'entrée  à Saumur.
25 8bre. -  Vlan ! Ça y est !  Nos prévisions se  sont heureusement réalisées: CORNUT est  rappelé par dépêche Mlle pour suiYre les cours de
Saumur où il est admis, à la suite de l'affaire de DJAHIÀ. Il est joyeux comme un pinson et fait des  "galipètes".
Je partage  sa joie, car je suis très heureux qu' mon ami FRED arrive  lui aussi   Sous-Lieutenant.
Ce bon  courrier est  arrivé  ce matin.   J'ai  moi aussi  de bonnes nouvelles de la famille,   Il est question de moi  sur la Dépêche à Mlle;   je devrais être  rapatrié  également, mon remplaçant a été demandé en  France  fin Août, se  sera-t-il embarqué le  15  7bre? Je le voudrais ainsi  car je m'en irais fin  Janvier. CORNUT va partir avant mpi.  Le  Capitaine  l'emmène  jusqu'à Moïto  où nous devons trouver le  Commandant  qui décidera.
Nous  quittons Masakory  ce  soir à  4 heures pour nous rendre à N'Gourra par les puits,                                               
29 8bre. - Hier à minuit, nous entrions à N'Gourra sans avoir réussi à suivre le chemin  convenu dela faute  du guide  qui, dans la  jpurnée  du 27,  nous a remis  sur la route habituelle  que  nous reconnûmes vers  6 heures du soir, c'est-à-dire   celle  suivie au mois de l'Mai dernier. Malgré cela, noua ne manquâmes pas d'eau,   car il existe  encore  ce mois-ci deux mares  qui ne sont pas tout à fait desséchées. Le lendemain du départ de Masssakory,  le 26 vers llh, nous trouvions une mare dont  l'eau n'était pas très claire, mais nous avions pour nous de l'eau dans nos tonnelets. Nous campions près de  la mare,  aux abords de laquelle je trouvai du riz sauvage. Nous quittâmes ce point le 23 à 3h de l'après-midi seulement et ne trouvions pas d'autre mare jusqu'à N'Gourra. Halte à 8h pour manger un morceau;  départ à 9h et à notre grande surprise, arrivée 5 heures après à N'Gourra.
Ce matin un courrier apporte de nouveaux ordres du Commandant.
Rien d'inquiétant  au Fitri. Le Capitaine doit aller rejoindre le Commandant à Moïto. Il reçoit l'ordre de détacher un peloton à Aouni. C'est mon peloton qui ira. Le départ pour le 2° peloton et le Capitaine est fixé à 6 heures ce sOir.
Je viens de faire mes adieux à CORNUT qui, fort probablement va partir pour France de Moïto, si le Commandant lui  signe son  ordre de route. J' ai embrassé mon bon FRED avec l'espoir de le retrouver en France dans 7 ou 8 mois !
Pas fâché d'être seul avec mon peloton pendant quelques jours: j'aurai la paix car le Capitaine est très exigeant, trop même pour la colonie. Quel nerveux !                      
30 8bre. - j'ai  quitté N'Gourra à 5 1/2 ce matin avec 18 spahis. J'ai fait une étape agréable, libre surtout, j'ai pu tuer quelques cochons et  des antilopes.  J'en ai tué une belle   (antilope-cheval)  ça a fait une  ration supplémentaire  de viande pour mes spahis. Remarqué beaucoup de pastèques dans la brousse, ce fruit pousse à l'état sauvage dans cette région,  plus petite que la pastèque da France, mais elle est bonne, surtout  rafraîchissante. Le terrain est plus dur; moins de  sable;   je me  suis secoué, en trottant un peu. Quantité d'arbres résineux dans cette brousse; je voyais la  résine  couler abondamment.  Mes spahis en détachaient des morceaux qu'ils suçaient, j'ai  fait  comme eux.   
(Pastilles à la gomme) 
J.ai bien déjeuné ce matin d'une omelette de 8 à 10 oeufs et d'un bifteck d'antilope. Mon boy  use de combinaison pour pouvoir me faire ma cuisine, car je n'ai pas d'ustensiles, la popote étant restée avec le  Capitaine;   il me brûle une assiette pour faire
l'omelette. et me fait cuire le bifteck sur le couvercle d'une marmite de campement d'un spahi- Mais je bois de la bonne eau, de l'eau de pluie  qui se trouve recueillie dans un couloir profond entre deux énormes rochers de la petite colline au pied de laquelle  le village d'AB0UKOAKIB est situé.  L'abreuvoir, aujourd'hui n'est pas banal:  des hommes  grimpent  sur des rochers et au moyen de longues cordes retenant un récipient (dellou)  ils puisent l'eau du couloir et la versent à leurs pieds sur le rocher.  L'eau  coule ainsi le long du rocher qui est à pic  et vient tomber dans un trou creusé  à cet  effet où mes  spahis abreuvent leurs chevaux. J'ai grimpé sur les rochers et suis descendu près du couloir, non sans peine.  C'est une gorge très étroite mais profonde  qui  se  remplit pendant la saison des pluies  et  qui assure au village 3 ou 4 mois d'eau fraîche et potable. Il y a encore de l'eau pour un mois, disent les gens;  aussi attendent-ils 1'épuisement complet de cette source spéciale pour creuser les puits.  Le nègre ménage  l'eau; un puits est  pour lui un bien précieux.
ABOUKOAKIB est  le pays des Koukas.   Les gens sont assez bienveillants; ils m'ont apporté  ce  soir du lait, des poulets et des oeufs.  Cela fit mon  souper.                                    
31 8bre. -Je suis rendu le 30 à AOUNI, village où je suis déjà venu plusieurs fois. Aussi le chef,vrai sosie de PELLETAN (la tête etla démarche,c'en est frappant) est un de mes amis; le vieux MOUSSA DIORO; il est venu me saluer aussitôt, m'apportant cabris etlaitage,                                         
.. J'ai trouvé ici le sergent de Marsouin LECIA, qui était dernièrement au Kanem; il occupe le poste avec quelques tirailleurs. Le poste situé sur une petite dune de sable est entouré d'énormes rochers détachés des collines qui entourent Aouni. - Une zériba en fait le tour; ainsi situé, le poste est à la fois un excellent point d'observation et un réduit défensif.

C'est le lieutenant LEBAS qui l'a construit pour son peloton.
LECIA est ici pour ramasser du mil,  envoyé par le Commandant en prévision de l'envoi du peloton de  spahis à Aouni. Il y a en réserve au village 4 tonnes de mil, de quoi vivre pendant un mois avec mon peloton.
Aouni est un village Boulala, bien peuplé, possède du mil, des boeufs et moutons. Comme  celles de Pitri,  les femmes d'Aouni portent la chevelure en casque.
Mes repas se  composent d'un plat de plus,  grâce au sergent LECIA qui m'a donné l'idée de manger la pastèque (qui pousse dans la brousse) cuite, c'est-à-dire découpée en petits morceaux et frits dans la poêle. J'en fais fournir par mon boy ALI ZIABA, qui est à la fois mon cuisinier, autour des côtelettes de cabri. Je crois vaguement manger des frites ou mieux,  des tranches d'aubergines. Pas mauvais, ces pastèques me constituent un légume à chaque repas. Le sultan MOUSSA m'en envoie deux chaque jour et quelques oeufs; malheureusement, ceux-ci sont presque tous mauvais! mais voilà le danger: mon boy, que j'appelle ALI par abréviation, me le signale: "Ces frites à la pastèque  exigent  beaucoup de graisse." Et la ration est faible, pour y arriver car j'ai des vivres pour 15 jours: j'ai encore recours à la générosité  du  chef du village en lui demandant de  sa graisse.  C'est de la saleté qui pue le suif,  mais bast ! ALI saura dissiper quelque peu le  vilain goût en faisant chauffer cette graisse et en y mettant un biscuit dedans.  Le biscuit prendra la mauvaise odeur.
LECIA m'a quitté le lendemain de mon arrivée pour rejoindre Moïto avec ses tirailleurs. Je  suis seul ici, mais je ne m'ennuie pas, il me plairait même d'y attendre la fin de mon séjour. Je suis libre et indépendant, n'est-ce pas tout ce que je demande? Je vais pouvoir aller tirer le gros gibier sans qu'un exigeant tableau de travail me rappelle à la tâche. 
II souffle  tous les soirs vers 6  et 7 heures, après le coucher du soleil, surtout au poste sur cette hauteur, un vent furieux, semblable au mistral de ma belle Provence .Ma case est un nid de sable et pendant la nuit ma couverture et moi-même, suis couvert de sable. En revanche, beau-point de vue en sortant de ma case: l'oeil embrasse l'horizon jusqu'à l'infini et ce n'est pas un horizon nu mais bien un panorama agréable. A nos pieds, des rochers; devant moi une grande plaine boisée; au loin et de tous cotés, un amas de rochers géants, de vraies montagnes.  Celles de Moïto se voient très bien.
Je vois disparaître avec joie le mois d'Octobre ! Un de plus à biffer sur le temps de  séjour !
1° 9bre.   - A un kilomètre du poste, se trouve le campement de Badjour (l'ex-chef militaire d'ACYL) qui a environ 200 personnes, tant hommes, femmes et enfants. II a été placé là depuis l'arrestation d'ACYL.                                                 

                 
Aujourd'hui, un des deux frères d'ACYL qui demeurent avec BADJOUR,  s'est blessé en manoeuvrant un "Remington". On est venu me prévenir au poste, j'ai été le voir aussitôt: il avait des plaies au bras et  des brûlures à la poitrine. N'ayant pas le moindre médicament,  je n'ai pu le soigner. I1 avait déjà d'ailleurs, employé le  remède indigène qui consiste à s' enduire les blessures de crottin de vache. Drôle d'antiseptique !   J'ai fait demander aujourd'hui à l'officier qui est à Moïto à deux jours de là, de m'envoyer du bichlorure; Je pourrai ainsi laver les plaies du blessé.
2 9bre. - J'ai eu pendant la sieste une douce surprise: c'est CROTEL qui tombe dans ma case en coup de vent ! Quelle joie de nous revoir !J'étais loin de croire à l'arrivée de cet ami.

Aussi en avons nous raconté toute la soirée ! Nous en avions long à nous dire depuis le mois de Juin où nous nous sommes quittés. CROTEL est envoyé par le Commandant LARGEAU pour me porter les ordres de cet officier supérieur qui me charge de la reconnaissance de Aouni à Yao.  CROTEL restera avec moi.
Voilà bien une autre affaire.. Adieu à ma tranquillité de Aouni, je n'y serai pas resté longtemps. Nous  décidions avec CROTEL de partir le matin du 4 Courant.  J'ai pris connaissance des instructions écrites du Commandant; elles sont ainsi conçues "Déterminer les gîtes d'étape et la route la plus avantageuse pour le  détachement principal et donner les ordres nécessaires pour que les vivres soient préparées en quantité convenable. En chaque point, laisser un double  des ordres verbaux donnés aux chefs. Envoyer des renseignements de Yao et affirmer énergiquement que le Commandant vient pour une tournée de  reconnaissance et qu'aucune hostilité n'est à craindre de notre côté."
4 9bre. - Nous couchons ce soir à ASSENÉ à 10 kilomètres de Aouni seulement.J'ai fait débrousser le chemin, réunir du mil au village et pris 10 moutons, en un mot, des vivres pour la colonne pendant un jour; La mare a encore de l'eau; j'ai fait apporter 3 cases tout près de la mare pour les blancs de  la colonne. Nous avons pris au coucher du soleil un délicieux bain dans la mare; l'eau est propre et cela fait du bien.
Un bruit discordant de pistons,  de tambourins, arrive à nos oreilles ce soir: c'est BADJOUR, le chef Ouadaïen qui arrive au village avec une vingtaine de cavaliers et des hommes à pied armés. Je lui demande où il se rend ainsi; il me répond que le Commandant l'envoie contre des Krédas dissidents. Il est probable que le Commandant  veut l'éloigner au moment où nous allons contre les Ouadaïens au Fitri. BADJOUR me manifeste d'ailleurs son mécontentement, il demande à me suivre et voudrait bien savoir quel est 1e mouvement que nous préparons. Je lui donne l'ordre de continuer sa route.                   
6 9bre. -  Rude étape dans la journée du 5. Nous avons quitté  ÀSSENÈ le matin à 5h et emmené avec nous quelques hommes du village pour construire des abris à une  quinzaine de kilomètres de là où le Commandant fera la sieste. Apprenant que le village de ASSETTA était encore à une vingtaine de kilomètres,  je me suis porté à une keure de marche plus loin pour déjeuner. A 2h je repartais, mais je fus désagréablement surpris en n'arrivant au village qu'à 7 heures et demie du soir.
CROTEL est étonné car il m'avaia dit que les deux villages étaient à 35km l'un de l'autre, J'en ai compte au contraire 42 soit 7 heures de marche à 6 à l'heure..                       
J'ai signalé dans une lettre au Commandant cet écart afin qu'il puisse modifier l'itinéraire de la colonne après ASSENE, car je lui écrivais dans ma première lettre que des abris faits à 15km de ASSENE, il restait 20km jusqu'à ASSETTA, alors qu'il en reste près de 30.  L'étape par ce fait  devient dure pour une  colonne car de Assené à Àssetta, soit sur 45km, il n'y a pas d'eau.
Le village appartient au cheik AROUN,  c'est un village arabe qui est venu s'implanter auprès des Boulalas. Le village est peuplé et riche en bétail.  Le cheik ne se fait d'ailleurs pas prier pour fournir le mil et les moutons pour les besoins de la colonne II nous apporta du lait des oeufs, de la graisse comme  "Salam" et il a fait faire une provision abondante d'"acidé" pour les spahis'.J'ai expédié un courrier au Commandant, et je fais préparer des abris entre le village et les puits. L'eau des puits de ASSETTA est "bonne et abondante; de grands abreuvoirs permettront à la colonne de faire boire chevaux et boeus. Excellent terrain aux environs d'Assetta pour faire pâturer le "bétail. Il y a encore de l'herbe verte. Les Arabes du cheik AROUN se livrent du reste à un important  commerces  de bétail  (boeufs et moutons).
Ici plus de collines rocailleuses,  elles disparaissant après Assené;  le terrain est tantôt boisé, tantôt nu et  craquelé;  il a du être  inondé dans la saison des pluies.
9bre.  - CROTEL et moi avons quitté Assetta le  6  à 6h après avoir donné les derniers ordres au cheik et pris mes notes de voyage. Nous avons traversé aujourd'hui 3 villages pauvres où je n'ai rien  prélevé  comme vivres.  J'ai  chargé  seulement  les  chefs Boulalas de faire débrousser le chemin d'un village à l'autre.  Ce sont les villages de 50IRA, KARFA, KOUDOU.
Nous avons fait  la  sieste au puits de Koudou, à environ 15km de Assetta. L'eau est potable.  J'ai passé là une heure à chasser des singes perchés sur de grands arbres.  CROTEL casse la jambe à un, je le dégringole d'un coup de carabine. Il faisaient une musique et une gymnastique surtout. J'aurais voulu m'emparer d'un petit singe pour le garder; pour celà je tire sur une mère qui tenait son petit sous le ventre. La mère tombe, mais à mon étonnement, le petit reste accroché. J'ai fait grimper quelques boys sur l'arbre,  promettant quelques rouleaux de tabac à celui qui m'attraperait le singe. Mais nous fûmes tous surpris en voyant notre petit singe, pas plus gros qu'un petit chat, gagner les plus hautes branches de l'arbre et enfin sauter ensuite sur l'arbre voisin, laissant là les boys qui le  poursuivaient. Je dûs renoncer à quitter ces puits avec un singe. Nous partîmes de là à 2 heures pour arriver à Melmé avant 4h. Melmé est à 7km de koudou.
Il est visible que nous allons entrer au Fitri à la joie que la population a manifesté à notre entrée à MELME. Notre apparition les rassure, car les Boulalas sont peu guerriers et redoutent les Ouadaïens.
J'ai trouvé ici peu après mon arrivée le brave sultan HASSEM de Yao, le sultan du Fitri, que je connus l'année' dernière à Yao. Il était tellement content de voir arriver deux blancs chez lui qu'il me saute au  cou et nous fait acclamer par ses soldats. Il nous a fait exécuter une  fantasia,   la poudre  a parti,   les chevaux ont galopé, tous les gens armés sont venus nous saluer, le fusil ou la sagaie  ou le  simple couteau en l'air, brandissant  cette arme au-dessus de nos  têtes en  signe  de  respect, de soumission. Quelle joie sur tous ces visages, j'en étais heureux: les femmes mêmes se  sont mises de la partie. Très tard dans la soirée, elles ont poussé des cris you-you  (vrais roulements de la langue dans le gosier) en notre honneur. Sur notre passage, elles redoublent; certaines, les vieilles principalement, se mettent la tête contre terre et d'autres battent des mains.  C'est un tableau inoubliable. Et quel potin infernal n'ont-ils pas fait toute la soirée avec leur  tam-tam, leur musique criarde. Le sultan HASSEM est venu longuement parler avec nous;   je lui apprends que le Commandant viendra dans deux ou trois jours avec les spahies et les tirailleurs; il devient alors audacieux et ne parle plus que d'aller fiche une pile aux Ouadaïens; il m'énumère  ses forces, ses hommes à cheval, armés de  fusils, ses hommes  à pied, me demande si je lui donnerais des cartouches et un revolver pour lui. Je le rends fou de joie en lui disant que  le Commandant lui apporte des fusils et pour lui un revolver comme le mien. Dieu que ce brave homme est heureux. Il me dit qu'il va faire rentrer à Yao ses femmes, ses gens et ses troupeaux car maintenant que les Français sont arrivés il n'a plus peur; en effet, tout ce monde-là est reparti dans la nuit. En somme  ÀSSEM avait fiché le camp de Yao, craignant d'y être enlevé par les Ouadaïens qui ne sont pas ses amis depuis qu'il est celui des blancs.  Il faut reconnaître que le sultan du Fitri nous est sincèrement dévoué, nous en avons eu de grandes preuves quand l'Escadron occupait Yao avec le Capitaine DANGEVILLE. Il se trouvait avec nous au combat de DJAHIA. Je lui ai laissé mes jumelles de campagne, en lui apprenant à s'en servir.                            
Melmé a beaucoup de mil;  HASSEM en a fait mettre en réserve dans une "debanga" 3 ou 4 tonnes. La colonne aura donc ce  qu'il faut dans ce village. Pour l'eau, comme les puits sont assez éloignés je  donne l'ordre au chef de Melmé de faire remplir une  quarantaine d' énormes  "broumas" contenant une vingtaine de litres. J'ai eu encore ici la visite de BADJOUR suivi de ses hommes. La réception que lui a fait Hassem est  plutôt froide, car BADJOUR est Ouadaïen et homme d'ACYL, que HASSEM n'aimait pas. Quant à moi, je le reçois fort mal, car je commence à voir qu'il m'a menti le 5 à Assené et qu'il m'a désobéi en tout cas en me rejoignant à Malmé. Il n'y a pas de doute, il voudrait marcher avec nous sur les  Ouadaïens,  car le malin a appris quelque chose  et croit alors que nous marchons réellement sur Abéché. Certes,s'il en était ainsi, BADJOUR  serait un meilleur auxiliaire que les BoulalaS, car lui est un chef intelligent et hardi et la perspective de rentrer au Ouadaï, son pays, en vainqueur et avec un grade  élevé sous la protection de la france, le rendrait très audacieux, malheureusement pour BADJOUR  comme pour nous, ce  n'est pas encore cette fois-ci que nous irons à Abéché.
J'ai donc dû me fâcher et défendre formellement à BADJOUR de me suivre à Yao. Je l'ai renvoyé à Aouni. Il n'était pas content certes, mais il me dit:- "J'irai où tu me  diras,   c'sut toi qui es mon père, fais de moi ce que tu voudras, je suis ton fils, etc....."    Il est plus âgé que moi mais il m'appelle son père tout de même. Hum, que ces nègres sont peloteurs et faux !
J'ai envoyé un pli au Commandant ce soir et lui donne le topo de l'itinéraire à suivre et les autres tuyaux que m'a donnés HASSEM sur la marche des aguid Ouadaïens. Ces chefs se réunissent à AREROUT, à 4 Jours environ de Yao. L'invasion du Fitri n'est donc pas imminente, comme le  prévoyait le Commandant sur les données du Lieutenant LEBAS.  Si  j'en crois CROTEL, les adjaouïds Ouadaïens marchent  sur Yao !! Moi je doute encore, jusqu'à ce que  je vois.
7 9bre. - A 5h 1/2 çe soir, nous rentrons à Yao et sur tout le parcours encore de Melmé ici, nous avons été acclamés. A chaque Village, les hommes viennent à nous, sagaies et couteaux en mains, boucliers, bref, avec tous les engins de guerre. Curieux, les boucliers:  il y en a qui sont faits de peaux de panthères ou de lions bien séchées ou durcies, d'autres sont un assemblage de bois léger, le tout pouvant préserver d'une sagaie ou lance, mais bien vulnérable à la balle ! Les femmes continuaient à pousser leurs you-you-you à plein gosier.                      
Ces villages sont en fête, notre présence, seule les rassure et pourtant je n'ai avec moi que 15 spahis, mais ils ont une telle confiance dans les  ""Nasarras" et surtout, une telle frousse de nos armes qu'ils sont sûrs d'avance de notre succès. Ces pauvres diables ne se doutent pas que j'ai là des ordres écrits du Commandant des Troupes qui me forcent à me replier en cas d'attaque des Ouadaïens; îl ne faut à aucun prix attaquer, et toujours pour la même raison, cell qui nous défend de marcher au Ouadaï et même d'aller au delà du Fitri  (ordres supérieurs du Ministère des Colonies).
Mais que venons-nous faire ici donc? Ma foi,  je crois que nous venons au Fitri simplement pour que notre présence effraye les Ouadaïens et arrête leur plan d'invasion du Fitri,  et pour bien leur faire sentir que nous entendons protéger 1e  sultan HASSEM et les Boulalas qui sont amis de la France;  en un mot, que nous voulons la paix et la sécurité  sur nos frontières.       
Cela m'ennuie beaucoup d'être obligé de me retirer si les Ouadaïens arrivent à Yao,  car enfin,  aux yeux de HASSEM, c'est un recul et  il pourrait  croira  que  les français 1'abandonnent, ce bon vieux !
Enfin, si je me trouve  devant l'ennemmi, je tâcherai de me trouver aussi en même temps devant un fait accompli et je ne me replierai qu'après avoir tiré quelques coups de fusil? en faisant comprendre à HASSEM qu'il fasse  filer ses gens et ses troupeaux en arriére  sur Melmé et que moi avec mes spahis aidés de ses soldats, nous couvrirons cette  retraite en rejoignant la Colonne qui vient derrière nous. L'arrivée du Commandant  et d'autres troupes le rassureront certainement.
Au fait, sale situation, quoi !
En attendant et pour aujourd'hui, tout Yao est dans la joie. J'ai retrouvé le camp que nous occupions il y a un an. Le sultan. HASSEM l'a bien entretenu; les cases sont en bon état. J'ai repris mon ancienne  case et pour ne pas la trouver  trop vide, j 'ai demmandé une femme  à HASSEM.Il m'a envoyé une Boulala qui s'est fichue à genoux, et qui n'ose pas me regarder; elle est là au coin de la case, peu rassurée, la pauvre fille. Elle  se nomme HACHIE et porte comme les femmes du Fitri la coiffure en casque; C'est bien la coiffure "décrite" par Nachtigal, explorateur allemand. Pas beau, surtout ce cimier fait de cheVeux enduits de graisse qui se tient rigide et qui, sur la nuque, se redresse et semble menacer le Ciel. La partie antérieure se termine sur le front par un petit sachet de cuir appelé "gri-gri" "et sur les côtés, tombant le long des  joues, de  longues  tresses de cheveux encore nettement enduits de  graisse.  C'est ainsi qu'on se noircit tous ses effets et qu'on se salit quand on cause à une de ces négresses. J'ai conseillé à ma nouvelle femme de quitter cette coiffure pour adopter celle  des Bornouanes par exemple, beaucoup plus simple, et se priver de graisse tant qu'elle vivra sous mon toit. Ce qui est plus curieux,  c'est que  ça ne sont pas seulement les  cheveux personnels qui constituent  cette  coiffure bizarre, mais d'autres  cheveux de  parents ou amies mortes et  encore des poils de chèvres viennent y contribuer.
Nous avons quitté Melmé  ce matin de bonne heure en compagnie du sultan Assem.  Le premier village traversé est AGUENE à 2k500 de Melmé. Après ce village, nous avons parcouru une  immense plaine de plus de 8km de longueur coupée par quelques petits arbres de temps en temps, terrain difficile où nous avancions lentement; le sol tout  craquelé indiquait qu'il y a un mois à peine, cette plaine  était  couverte d'eau. A BORIO, autre village, nous trouvâmes encore deux mares et 4 km plus loin, le village de FARKOMA où nous fîmes la  sieste. Dans cette partie de l'étape, j'ai tué 4 antilopes de grande taille appelées par les Arabes  "tetel".
A plus de  350m de distance, il y en avait de vrais troupeaux dans la plaine; c'était à les prendre à première vue  pour des boeufs.  J'ai  pu faire ainsi une bonne distribution de viande à mes spahis, j'en ai donné aussi aux hommes de HASSEM. Celui-ci était émerveillé  de le voir abattre les "tetels" de si loin, il voulut en faire de même avec sa carabine 90 que le Commandant lui avait donnée. Peu exercé au maniement de cette arme et surtout à l'emploi de la hausde, il a tiré une première fois, sa balle partit à 50m devant lui. Je lui montrai comment il fallait épauler et viser et  manoeuvrer la hauteur pour des distances éloignées, il me comprit fort bien car au second coup de feu  sa balla alla tomber au milieu des antilopes qu'elle dispersa. Ce voyant, sa joie fut à son comble, il me prit les  mains avec enthousiasme.  Il était fier de son coup et envoya même un de ses hommes à cheval pour s'assurer s'il n'avait pas blessé l'animal; ïl faut que je le fasse remonter à cheval pour continuer notre route, car il aurait bien brûlé toutes ses cartouches. Je lui dis:   "Garde-les pour les Ouadaïens, à présent, tu es sûr de les tuer de loin".  Il rit de son bon gros rire de nègre, confia son arme à l'homme  qui était  derrière  lui et nous  repartîmes. HASSEM comme  tous les  sultans ou chefs noirs , ne porte pas lui même  son fusil ou son revolver; ces armes  sont  portées par un soldat  ou boy qui le suit immédiatement et lequel s'il est à pied, ce qui arrive souvent, court derrière son maître, qui lui galope sur son cheval.
                      I
J'ai fait faire des abris à Farkoma que nous quittons vers 2h 1/2,8km après nous passons à DENI  et à 4k de là, nous entrions à Yao; -En arrivant au camp, HASSEM voulut m'en faire faire le tour extérieur pour me montrer que le  fossé et la zériba existaient toujours et je m'arrêtai devant la tombe de notre regretté camarade, le Maréchal des Logis FOUCHÈ;   on croirait que nous avions quitté le poste la veille, la croix bien debout, la terre remuée,   la petite barrière protégeant le tout et des branches épineuses l'entourant pour préserver ce champ de repos de notre frère d'armes, de la voracité des fauves.

9 9bre. - J'envoie. ce soir même un pli au Commandant avec le topo et les nouveaux renseignements recueillis. Rien d'inquiétant en somme pour le moment.  Je me couche bien tranquille. Le. sultan HASSEM envoie au camp une grande  quantité de mil que je  fais emmagasiner.  Tous les villages voisins en apportent sur l'ordre de leur sultan, il faut croire que l'année a été bonne, car l'amée dernière pendant les quelques mois passés ici, nous n'avons jamais vu autant de mil en magasin.  II a plu beaucoup pendant cette saison et la récolte de mil a été bonne. On  m'apporte aussi des "crepa" petites graines de brousse,   qui l'année dernière  constituèrent souvent la ration de mes spahis à défaut du mil.
HASSEM me dit aussi qu'il a quatre  cents moutons et une quarantaine de boeufs de boucherie qu'il donnera au Commandant. La viande ne manque  pas,  HASSEM a tout  prévu.  Voir même le   "pipi" ou "mérissé" boisson faite avec du mil et dont j'ai  souvent parlé et que je bois volontiers. II m'en a envoyé  ce matin une brouma. CROTEL le boit  aussi volontiers que  moi. Avec cela, CROTEL a quelques bouteilles de rabiot, même du tafia,  aussi allons-nous passer quelques jours agréables ici,  avant  que les huiles arrivent. Mais déjà hier soir, les moustiques m'ont désenchanté; en portant la fourchette à la bouche,  il1 faut aussi porter la main à la fesse pour se ficher une claque, tant ces sales insectes mordent.  C'est que je ne  suis plus entraîné à ce voisinage là, car au Kanem, il y a cela de bon, pas de moustiques, le vent les chasse. Je' suis bien heureux d'avoir apporté ma moustiquaire mais je  connais le pays pour y avoir vécu quatre mois,  je ne risquais pas de l'oublier. Sale Fitri !

Novembre: hier 8, j'ai eu de nouveaux renseignements sur les Ouadaïens,renseignements qui m'ont été apportés par un Arabe du nom de ALIBET, cheik du village de ANGARDA à deux jours de Yao. D'après cet homme, 25 Ouadaïens armés dont  12  cavaliers entrés dans son village dans la nuit du 7 au 8, venus  de la  part de  l'aguid Emir ÀBDULLAYE, sommèrent  les habitants de porter des "Salam"  (cadeaux) à leur chef. ALIBET répondit qu'il irait le  lendemain, mais dans la nuit,les Ouadaïens s'emparèrent de moutons,  de quelques boeufs et prirent*'quelques captifs et après avoir blessé  quelques Arabes'du village,
se retirèrent.  Ces soldats avaient dit au cheik ALIBET que les adjaouid ABDULAYE,  MORLADA, du KHOZZAM, de  ZEBETA, du DEBABA, ALADERI et ALMAGUERI étaient tous réunis à Arerout. De plus, il m'apprenait  qu'une grande zériba était faite à Mendelé' (30k de Yao, où nous fûmes l'année dernière  avac le  Capitaine DANGEVILLE pour y recevoir l'aguid DEBABA.  L'agid Emir ABDULAYE devait venir s'établir à Ati, en face de Mandelé,  mais  sur la rive opposée du Bahr Batha.

En outre, le  sultan ABD-EL-RHAMAN  du Médoggo, qui penche du côté des Ouadaïens, tout en ayant l'air de nous ménager, a envoyé 40 de ses cavaliers à Aretout pour saluer les Adjaouid.
Le' cheik ALIBET a vu passer ces hommes et il ajoute que 15 seulement sont retournés au Médoggo.                              
Après avoir expédié ces renseignemente au Commandant par un courrier à cheval que HASSEM m'a 'fourni', je renvoie le cheik ALIBET à Amggrda afin de se tenir au courant des agissements des Ouadaiens et lui  dit de retourner à Yao le 12 courant, jour où le Commandant doit arriver ici.
Je donne l'ordre au sultan de ne laisser franchir le Fitri par qui que ce  soit et de faire patrouiller ses hommes à cheval au N-E de Yao et de m'amener tout  ce  qui  sera pris,   traînant sans motif dans cette région.
10 Novembre. - HASSBM m'a amené aujourd'hui un de ses Boulalas habitant le village de ROUMELOU, lequel m'apprend qu'un homme du Médoggo, actuellement au service du Koursi KEREMA (koursi est le titre du collecteur d'impôts ouadaïen) venu dans son village , lui dit qu'il a vu à Arerout le 7 courant, le djerma OTMAN; (le grand chef militaire de Doud MOURAH) arriver avec beaucoup de troupes. II avait avec lui l'aguid DJILLY et  se préparait à marcher sur Yao.
Ce nouveau tuyau a certes une grande valeur, car la présence du djerma OTMAN à Arerout avec tous les  adjaouîds  et  avec des troupes confirmerait bien l'dée  d'invasion  du Fitri. 

D'ailleurs cette nouvelle seule a le don  d' inquiéter HASSEM et tous les Boulalas,   surtout   ceux-qui habitent  les villages au N-E de Yao, plus près du Bar Batha.

Malheureusement l'homme qui vient de me-donner ces renseignements n'a rien vu lui-même;  il les tient d'un homme du Médoggo qui lui, aurait vu.  Reste à savoir si pendant les trois jours qu'il a mis à venir d'Arerout à Roumelou, talonné par une sainte frousse, il n'aurait pas exagéré ce qu'il aurait vu.
En tous les cas, j'ai expédié un nouveau courrier aujourd'hui au Commandant à la vitesse  rapide. Si  le djerma OTMAN était réellement le 7 à Arerout et qu'il marche sur Yao, il ne pourrait en être bien loin le 10; sa présence dans les environs me sera signalée, j'en suis sûr, suffisamment tôt par les Boulalas qui fuiront devant lui ou qui  viendront  se placer sous ma protection. 
CROTEL qui, avec son peloton a toujours résidé sur la frontière du Fitri, m'assure que les Ouadaïens vont venir sûrement nous attaquer. Il attribue une grande puissance au djerma OTMAN dont  il a souvent entendu parler. Moi, je reste plus incrédule, je doute  encore, malgré tous ces renseignements que les Ouadaïens, sachant que les français sont à Yao, viennent nous y trouver. Je n'ai pas grand monde ici, il est vrai, mais je crois fort les inquiéter tout de même.. D'ailleurs si les soldats du djerma OTMAN sont du calibre de ceux d'ACYL qui nous ont laissé enlever leur sultan sans tirer un coup de fusil !!! ils sont dans tous les cas de la même race, je les crains peu ...
Hassem, visiblement inquiet,  me propose de faire construire un puits au milieu du camp pour résister plus longtemps et me demande à venir dès ce soir s'établir dans le camp avec ses soldats; il craint l'arrivée des Ouadaïens pour  cette nuit.
Je m'efforce de le rassurer mais je n'accepte  pas ces propositions attendu  que je ne  partage pas ses inquiétudes; je lui recommande de veiller surtout au village et de secouer ses Boulalas qui dorment tous la nuit  (j'en ai eu un exemple à la nuit de Djahia) d'en envoyer quelques-uns patrouiller, et en cas d'attaque de venir, lui et ses soldats se plaindre à moi et de faire filer sur Melmé les femmes, les enfants et les troupeaux;
de mpn côté, je donne, ce soir, des ordres sévères à mes spahis pour qu'ils ne dorment que d'un oeil, la carabine au côté, et je place un factionnaire sur chaque face du camp.  Sur ce, le sultan se retire, plus tranquille devant notre assurance et après avoir dîné et palabré fort tard dans la soirée avec CROTEL sur les évènements  probables, nous nous retirons dans notre case pour y dormir bien paisiblement. Je termine de rédiger mes quelques notes et me couche bien vite.
11 Novembre.   Le soleil s'est levé ce matin comme de coutume, ne laissant voir aucun Ouadaïen à l'horizon!  Tout est calme autour de nous. Où est l'ennemi? dis-je à CROTEL. Je le crois encore à Mandelé.
Je n'avais pas encore mis les pieds hors du camp et du village depuis mon arrivée; aussï, vers 4 heures tantôt, je suis monté à cheval et j'ai conduit mes spahis (l'arme à la grenadière à l'abreuvoir, c'est-à-dire faire boire les chevaux dans la lagune du Fitri.  Les bords de la lagune sont à 1.500m du camp et il y est facile d'abreuver les  chevaux mais il n'est  pas possible  d'aller plus avant dans la lagune tant on s'y enfonce. Les rives sont jolies, l'eau est à portée de la main, de beaux nénuphars tapissent cette surface liquide.
Tout autour de soi, et tant que l'oeil peut voir, c'est une immense nappe verte, de l'eau tout autour de la lagune mais visible sur les bords; seulement  au loin l'herbe  seule  se voit ainsi que quelques arbres: des reniers, par exemple   (borassus).
Mais  je  ne  peux pas aller plus loin devant moi, il faut retourner  sur mes pas; je me  souviens que l'année dernière  la  lagune était presque à sec et noue allions à cheval jusqu'aux reniers qui  sont à 1.500 mètres devant  moi.
Une quantité de canards et d'oiseaux-trompettes (ainsi nommés par nous parce que le cri  de cet oiseau ressemble parfaitement au son d'une corne d'automobile) volent dans la lagune. 

J'ai fait là une charmante promenade. Rien de nouveau ne m'est signalé ce soir;
12 Novembre. Je reçois aujourd'hui une plainte du cheik arabe IBRAHIM (tribu des Ouled Hamed)  du village da  GORKO  qui  paie  l'impôt  à HASSEM; il paraîtrait que BADJOUR ne  sachant que faire en se rendant à Aouni, aurait razzié ce village.                          


II aurait enlevé 30 boeufs et 600 moutons. Comme  le village du cheik IBRAHIM est  situé près de Borio  où le Commandant doit  passer aujourd'hui et que  Badjour doit encore être dans le voisinage, je rend compte au Commandant du fait et j'envoie IBRAHIM lui porter lui-même  ma lettre.
13 Novembre . - La colonne est arrivée ce matin à Yaô à '8' heures. J'avais reçu la veille une note de service du Commandant m'informant de son arrivée et me témoignant sa satisfaction pour la bonne éxecution de la mission qu'il m'avait confiée. II me disait de me rendre à 2h de yao avec mon peloton: ce matin j'ai été donc au devant de la colonne avec les spahis qui avaient sorti la veste rouge DE PARADE; Le Commandant, mon Capitaine,  M.   GRECH, interprète, LEBAS, MAIRE, BOISOT lieutenant de Tirailleurs  et  CORNUT  sont arrivés.

CORNUT que  je  croyais déjà sur le chemin de Fort-Lamy pour le retour!  Le  Commandant n'a pas voulu qu'il parte parce que nous étions en Colonne.  Mon FRED fait une  tête!
Nous voilà donc à Yao:  9 blancs, 3 pelotons de Cavalerie, 50 tirailleurs et une quantité de munitions.
Voilà qui sera vite connu des Adjaouids et qui ne les décidera sans doute pas à envahir le Fitri . Le Commandant m'a serré la main et fait part de vive voix de son contentement. "Tout a bien marché" me dit-il. Quoiqu'il soit question de mon rapatriement, sur la Dépêche Mlle qui rappelle CORNUT, le Commandant me dit que j'attendrai mon remplaçant. Allons, je vois que je ne  suis pas encore parti !....
14 Novembre. - Voilà notre petite  tranquillité perdue pour' CROTEL et moi. L'arrivée des huîles nous met tous sur les dents, et pour comble de bonheur, notre Capitaine Commandant, oubliant que nous sommes 'en'campagne', pond ce matin un tableau  de travail ! Non mais faut-il y croire! Il parle de manoeuvres, d'appel,  etc.,  Ah  c'est bien là un acte de notre capitaine,le Commandant est là, il faut barder.
Moi je dirais plutot en pareil cas: "c'est le moment de se montrer, cachons nous !" Faut- entendre  aujourd'hui  si nous cassons du sucre sur le dos de notre cher Capitaine- Commandant. NouS voilà à peu prés tous, réunis: officiers et sous-officiers de l'Escadron; or chacun a sa petite histoire à dire: LEBAS même me fait part de ses impressions de voyage pour les quelques jours seulement qu'il vient de passer en route avec lui. Enfin, puisque celà lui fait plaisir, nous ferons de l' instruction en face de la réalité. Ah!, que je voudrais donc que les Ouadaïens se montrassent.
J'ai fait aujourd'hui mes rendu-comptes au Commandant.  Celui-ci a interrogé longuement HASSEM, a reçu de lui les "salams" (moutons, boeufs, etc.,)et le Comandant a remis  à HASSEM une douzaine de fusils Remington, pris en juin par nous chez ACYL, et un revolver modèle 92; aussi, le sultan est dans la joie; il est venu me dire d'aller chez lui pour lui apprendre à se servir du revolver.
15 Novembre.  - Le Commandant se décide à envoyer une reconnaissance sur le Bathu  à Mandelé.  Il a chargé le Capitaine de  cette mission. Ce matin donc, les 1° et 3° pelotons avec LEBAS, CROTEL et CORNUT ont quitté Yao.  Le Capitaine est  accompagné de l'interprète, II a ordre de combattre  que  si il est attaqué.  Le but de cette reconnaissance est  de savoir où sont exactement  les Ouadaïens, de tâcher d'avoir une entrevue avec les ad jaôuids. Ramener ceux-ci à entrer en relation amicales avec les français et leur montrer également que si nous ne voulons pas la guerre,  nous sommes néammoins prêts à la "faire" si les menées de DOUD-MOURRAH nous y obligent. Le Commandant veut aussi faire  remettre une  lettre à DOUD-MOURAH, àAbéché, par ses adjaouïds eux-même pour l'amener ainsi à lui répondre, car plusieurs lettres lui ont été données déjà, mais DOUD-MOURAH fait le sourd.

Je reste à Yao avec mon peloton, auprès du Commandant, ainsi que BOISOT et ses 50  Tirailleurs; et MAIRE que le capitaine n'a pas emmené (je crois fort que  tous deux ne sont pas d'accord en ce moment, le Capitaine a encore  eu des mots aimables pour MAIRE, en cours de  route !)
MAIRE est enchante du reste de rester avec nous, moi qui connais Mandelé, je ne  suis  pas fâché de laisser filer le  Capitaine , sans le suivre. Nous passerons  ici quelques bonnes journées à la chasse avec BOISOT qui est un grand tueur d' éléphants. Malheureusement, il n'y en a pas au Fitri, mais  nous  aurons des antilopes, du cochon,  des lièvres,  perdreaux, pintades  canards,  etc et nous attendrons ainsi les  événements qui pourront  surgir de la rencontre de nos spahis avec les soldats du Djerma OTMAN.
16 Novembre. - Est arrivé aujourd'hui un courrier de  Fort-Lamy porté  par des hommes du Cheriff,  donnant  des mauvaises nouvelles du Tchad. Cette région s'agite; un exMaréchal des Logis indigène de l'Escadron,  le Maréchal des Logis BARKA ben MESSAOUD y a été tué. Il était au Tchad pour y prélever l'impôt à l'Est du lac.
21 Novembre. - J'ai  fait ces jours-ci de  fréquentes visites au sultan HASSEM pour l'initier au tir du revolver et le perfectionner à celui de la carabine.  Je lui ai donné une partie de mes cartouches de revolver, aussi sommes-nous les plus grands amis du monde. 

Il est surtout ravi que nous puissions causer seuls, car je comprends l'arabe et me fais comprendre suffisamment; chaque fois que je vais chez lui, j'absorbe une calebasse de  "pipi" le  "mérissé" qu'il fait faire pour moi, car lui n'en boit pas, ALLAH ne lui permettant pas, me dit-il. Tous les sultans nesont pas comme lui et je ne cite que  ACYL qui était saoûl à peu près tous les jours en buvant de cette boisson.
Mais HÂSSEM est plus brave homme, je le trquYe souvent occupé à lire des versets du Coran, soit en priere, soit à faire ses Salam à ALLAH, le front recouvert de terre tant il se  prosterne devant l'INVISIBLE !  
II m'interroge  souvent pour savoir si les blancs font leurs prières; je lui dis  que ALLAH est notre Dieu  aussi mais qu'il nous autorise à prier moins souvent  que les noirs et  que nous ne prions pas dehors. Mais  ce qui  intrigue HASSEM,  c'est que nous mangions de la viande, de  tous les gibiers et de tous les animaux, que nous buvions du vin ou du tafia   (il ne voit  pas  tout le  brave homme, que nous ne jeûnions pas comme  eux pendant le RHAMADAN (car nous sommes, actuellement dans cette période où les musulmans ne boivent ni ne mangent à partir du lever du soleil jusqu'à son coucher et le sultan HASSEM observe  fidèlement cette loi religieuse. Ce qui le contrarie, c'est quand je le plaisante au sujet de tous les "gri-gri" qu'il porte sur lui, autour du cou, à la ceinture: c'est une série de petits sachets de cuir, qui renferment le fameux mektoub, la parole d'ALLAH, écrite par un marabout ou un faki, (écrivain, le  lettré) _ lequel se fait  payer très cher, ce petit travail.  Tous les noirs et le sultan aussi ont une foi ardente, une croyance  illimitée  en ces écrits, ces amulettes. Celui qui n'en porte pas au moins  une sur lui est bien mesquin ou athée,  et d'après eux, le porteur de ces gri-gri est à l'abri des balles, des  sagaies, des  coups de couteau, des maladies, etc  etc.  Il y en a aussi pour préserver de la blessure de chaque arme ou pour rendre  invulnérable certaine partie du corps. Je le blague donc sur cela et je lui dis que je n'y crois pas que les blancs n'en portent pas etc etc ...

Je lui cite comme exemple des soldats porteurs de "gri-gri" qui ont bien été blessés et tués sous mes yeux (car tous mes spahis en sont remplis quand nous partons en colonnes) et je lui en demande alors laraison. Très calme, il me répond que le "gri-gri" était mauvais, que le faki a oublié quelque chose dans son mektoub, mais devant l'évidence même, sa crédulité pour ces choses ne faiblira pas. ALLAH ! c'est ALLAH ! qui le veut ainsi, qui l'a dit ainsi,  tout est là !                 
J'entre donc chez HASSEM comme chez moi, tous ces gens me connaissent et ceux qui gardent les postes me gratifient d'un gai "Salam Alek sans songer à me suivre; je parcours toutes les cases», je vais de ci, de là, car le tata d'HASSEM,  comme  la résidence de tous les sultans,  est une réunion de  cases communiquant par un dédale  de couloirs;   je  trouve HASSEM tantôt dans une, tantôt dans l'autre. Mais pas de luxe ici, le  pays est si pauvre, et puis cette race de Boulalas, comme  tous  les noirs du Baguimir, du Chari, du Tchad ne  fabriquent rien.  Pas de tentures ! Des nattes, des portières en paille tressée et quelques couvertures qui viennent du Bornou, qui les reçoit de la Tripolitaine. Des lits faits de branches d'arbres et recouverts de paille ou faits d'un autre genre. Tous les vêtements que Hassem porte sur lui (boubous, pantalons, turbans, cartouchières, mestres et marcoubs) lui sont apportés par des Bornouans). Dans le pays il n'y a pour se vêtir que le  coton (le coton est abondant au Fitri, comme d'ailleurs dans toute la colonie) dont les fils sont tissés et assemblés sous la forme d'une bande de 10 cm de largeur appelée gabac et c' est avec ces bandes qu'ils se font des vêtements, Kralak et soroal pour les hommes (blouse et pantalon) et farda (pagne) pour les femmes. Les enfants restent nus jusqu'à ce   qu'ils  aient atteint une dizaine d'années. HASSEM m'aime beaucoup mais il ne m'a jamais fait voîr   ses femmes. Je lui en parle quelquefois, il  me dit qu'il en a 5, des jeunes  et des vieilles,  je regarde parfois par-dessus un petit mur derrière lequel je sais que  sont les cases de ses épouses; il me voit bien faire et  il se contente de rire; J'aperçois de l'autre côté lesfemmes et leurs boyesses qui pilent du mil; mais aussitôt qu'elles me voient, elles rentrent precipitemment dans des cases; mais pas pour longtemps car la curiosité les attire; Voir un 'blanc de près, aussi soulevent-elles la portière de la case et me regardent elles bien en face, prêtes à se cacher à la moindre alerte. Je reconnais que ce n'est pas brillant comme harem les femmes d'HASSEM sont sans doute un peu "plus 'jolies" que celles du village:elles portent des pagnes plus chics et ont quelques ornements de plus au cou, autour de la taille, aux "bras" et aux pieds. Quelques perles bleues et rouges, quelques bracelets de cuivre ou d'argent, quelques bagues aux doigts et  c'est tout! Toujours la graisse comme parfum pour donner du brillant aux cheveux et à la peau.
Ce qui est plus curieux, c'est que le sultan est un homme de 45 ans et que, parmi ses femmes il en est qui  ont à peine  quinze et vingt ans, il en a aussi de son âge il est vrai.

Le Commandant a reçu hier de "bonnes nouvelles" de la reconnaissance.  Le Capitaine écrit qu'il a rencontré à Ali les adjaouids ouadaïens et qu'une entrevue a eu lieu; aucun coup de fusil n'a été tiré.                                   
J'envoie aujourd'hui de mes nouvelles en France, à la famille et à quelques amis.
Les Boulalas ont rendu compte au Commandant que des cavaliers ouadaïens isolés ou par groupes rodent autour de YAO. Aussi a-ton placé aujourd'hui un petit reste de Tirailleurs sur les rochers voisins du camp; ainsi placés, ils pourront voir très loin, sur toutes les faces. Le Commandnat fait de fréquentes ascensions matinales sur cette hauteur d'où il braque sa lorgnette sur l'horizon.
22 Novembre. - Ce matin à 8 heures, rentrée de la reconnaissance. Tout s'est bien passé mais non sans avoir risquéassez gros dit le Capitaine. Les Ouadaïens étaient nombreux et sont bien armés, bien montés. Mais ils ont été tellement surpris de voir arriver les Blancs,  qu'ils croyaient encore à Yao que l'apparition de nos spahis leur a enlevé toute velléité de combattre. Or, comme le Capitaine DURAND devait, au contraire, arriver en conciliateur, ayant l'ordre de ne pas attaquer, il ne pouvait advenir de cette situation qu'une rencontre amicale. C'est ce que demanda le Capitaine aux adjaouids, ceux-ci consentirent donc à une entrevue. Je dis amicale, le mot est de trop, car le Lieutenant LEBAS, CROTEL et CORNUT qui  étaient présents, me  racontent  que  de  leur côté  comme  de   celui  des  Ouadaïens, on  se  tenait sur le qui-vive. Les soldats Ouadaïens étaient tous là, rassemblés avec leurs montures et leurs armes. Un rien, me disent-ilS, aurait mis le feu aux poudres.
L'accord ne fut pas complet pendant le palabre, des aguids se montrèrent presque insolents. 

L'aguid Emir ABDULLAYE parla enfin au nom de tous. Il dit que son  sultan DOUD NOURRAH n'avait jamais reçu les messagers du Commandant , il lui remettrait cette fois-ci personnellement à son retour à Abéché la lettre du Sultan des Français. C'est l'interprète, GRECH qui rédigea en arabe le mektoub. Il fut dit aussi par les aguid que leur sultan
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(1) Assistaient à l'entrevue: d'Amelaya, l'aguid DJATENI, l'aguid du DEBABA, l'aguid El  BTRSCH de ZEBADA, l'aguid du KHQZZAM.  

 

ne voulait pas voir les "Nasarras" au Ouadaï, de même qu'au MeDOGGO qu'ils considèrent comme  terre Ouadaïenne. Le Fitri serait aussi terre ouadaienne; mais le sultan DOUD MOURRAH  consent à le laisser en paix, puisque HASSEM veut les Français avec lui. Les adjaouïds n'aiment pas le  sultan du Fitrï,celà va sans dire, puisque celui -ci est l'ami des blancs;  ils ont dit de lui tout le mal possible. En un mot, DOUD MOURRAH veut gouverner seul à Abéché et même sans que nous y allions pour faire la guerre, les adjaouids ont déclaré qu'ils ne veulent pas nous y voir, sans cela ils nous recevraient à coups de fusil... Ils ont  également demandé la liberté de faire  oommerce sur notre territoire.  Le Capitaine a  déclaré également que nous ne voulions pas la guerre mais que si DOUD MOURRAH nous y obligeait, les français étaient forts et que nous étions prêts à marcher sur Abéché, que le Debaba etait couvert de nos troupes, etc.. etc..- Bref , il résulte de cette entrevue que les adjaouids demandent beaucoup de concessions, mais ne veulent nous en accorder aucune.        
Je crois que la réponse de DOUD-MOURRAH, s'il se décide à écrire, décidera de la solution de la question du Ûuadai. Le Commandant a écrit de suite à l'administrateur en chef, M.  FOURNEAU  pour lui faire connaître la tournure actuelle des évènements sur notre frontière du Ouadai.
Pour moi, je serai surpris, quoique je n'ai pas assisté à l'entrevue et que je n'ai pu juger de l'attitude de certains aguids, que DOUD MOURRAH réponde au Commandant. Lui voudrait le  faire que son entourage s'y opposerait. S'il garde encore le silence, nous aurons une nouvelle  preuve qu'il se moque de nous et il montrera encore qu'il ne craint pas d'être grossier; et d'insulter notre autorité. De la part d'un roi nègre -  qu'il s'appelle sultan du Cuadaï ou empereur Africain - un tel outrage à la  France ne doit rester impuni et  j'aime à croire  que  si nos démarches pacifiques vis-à-vis du Ouadaï ne donnent aucun résultat et quand ceci sera connu du Ministre des Colonies, le Gouvernement donnera enfin l'ordre d'aller à la conquête du Oudaï.Mais quand cela se fera, serai-je encore là, je ne le crois pas. Il me faudra donc bientôt rentrer en France sans avoïr vu mon rêve se réaliser entrer à Abéché. Une ancienne femmè d'ACYL,la  meirem RAKIE, soeur de Doud MOURRAH, actuellement à Fort Lamy, sera rendue à son frère, acte de bonté du Commandant ! Cette "princesse" est attendue d'un jour à l'autre à Yao pour'être dirigée sur Mandèlé où viendront la chercher les Ûuadaîens
23 9bre. -  Mauvaise journée!  Notre cher Capitaine Commandant m'inflige deux jours d'arrêts,  parce que des chevaux se promenaient cette nuit dans le  camp, et  que je n'avais pas commandé de gardes d'écurie. A Yao, les chevaux sont dans diverses cases fermées; où se tiendraient donc les gardes d'écurie? Chaque boy couche dans la case du cheval et en a la garde.  C'était ainsi que nous faisions sous le commandement du Capitaine DANGEVILLE, les raisons n'ont pas paru bonnes au Capitaine qui, après m'avoir obligé à me lever dans la nuit pour faire rattacher les chevaux,  m'a collé aux arrêts le lendemain.  Je l'ai trouvé plus que  raide, car nous sommes en colonne et près de l'ennemi.  Mes camarades LEBA5, MAIRE, BOISOT,ne la digèrent pas, me disent-ils. Vraiment et  c'est l'avis de tous, le Capitaine DURAND est un homme dangereux. Je me fais apporter mes repas dans ma case. Le dîner va être d'un froid, m'assurent les officiers qui se promettent de garder le silence.
Ayant une forte dose de philosophie, je prends la chose par-dessus la jambe et pas une seule minute, je ne veux me faire de bile;  je  constate  seulement  que Monsieur a eu ses nerfs cette nuit et qu'il a voulu une fois de plus "piquer la Pèche" au'Commandnat Largeau en lui montrant qu'il ne voulait pas que les chevaux de l'Escadron troublassent son sommeïl et pour ce, il collait carrément un de ses officiers aux arrêts. Cette déplorable manie de notre Capitaine- Commandant est connue de tous à la colonie, car un lieutenant de Marsouins a déjà reçu au poste de N'Gouri un petit bleu de M. DURAND  lui collant 8 jours d'arrêts!
Le Commandant m'a demandé aujourd'hui, n'ayant pas de secrétaire de Vouloir bien lui copier une lettre au GOUVERNEUR A-LLEMAND du KAMEROUN-"Pour écrire à un tel personnage, me dit le Commandant, il faut au moins que j'aie l'air d'avoir un secrétaire, n'est-ce pas?"          

  Le Gouverneur du Kameroun fait  connaître au Commandant des Troupes du Tchad,  qu'un lieutenant Allemand, M.  STIEBER,  vient commander le poste de kouSsouri, poste situé en face de Fort -Lamy sur la rive gauche du Chari.
Le Commandant LARGEAU accuse réception de la lettre - en français - quoiqu'il connaisse parfaitement la langue allemande, mais il fait ainsi parce  que le Gouverneur lui écrit en allemand . J'ai remis au Commandant un topo de Yao à Djahia où nous fûmes attaqués l'année dernière. II voudrait ne pas quitter le Fîtri sans aller au Médoggo  et voir ces fameux Kerdis. Je ne crois pas pourtant que le Commandant donne suite à ce projet par suite des derniers événements de l'entrevue avec les chefs Ouadaïens.
24 gbre. - Nous avons eu aujourd'hui une Inspection générale passée par le Commandant LARGEAU aux 3 pelotons de l'Escadron,- Je suis convaincu que c'est notre Capitaine Commandant qui a insisté auprès du Commandant pour qu'il voie les spahis. Et pour cause, cet officier supérieur a assez de travail en ce moment-ci avec la question Oudaï pour penser à inspecter ses troupes, surtout en colonne. Il nous a donc fallu faire du travail sur les carrés dans la cour du camp, de l'Ecole du Peloton dehors et la séance s'est terminée par le défilé: le sultan (Capitaine) en tête saluant du sabre le Commandant et cela avec 2 malheureux pelotons incomplets derrière lui. CORNUT était de la fête . Tout le monde, LEBAS et les officiers se sont payé notre tête,  quoi!

Le Capitaine qui croit toujours que c'est arrivé,  nous a transmis les félicitations du Commandant lequel naturellement n'y connaît rien et ne peut qu'approuver  avec "layus" à l'appui. N'a-t-il- pas eu l'amabilité également à cet effet, de me prier de lui faire le plaisir de déjeuner à la table des officiers, enlevant ainsi mes arrêts de la veille...
Le plaisir ! S'il savait combien j'en ai peu à prendre mes repas en sa compagnie; mais enfin, il faut en passer par là et je répondis par un réglementaire "Bien,  mon Capitaine! .

J'ai donc repris aujourd'hui ma place auprès de mes camarades.                   

       
 J'oubliais, en passant je le note, qu'à sa rentrée de Mandelé le Capitaine, voyant  que  MAIRE n'avait pas oublié ses paroles vexantes au sujet de la popote, et gardait le  silence, le fit mander à sa case et s'excusa auprès du Vétérinaire.
25 9bre - Aujourd'hui, ce matin,  ce fut enfin pour de bon, ALFRED muni de son ordre de route signé du Commandant quittait Yao et ses amis pour rentrer en France. Dire sa joie  serait difficile! Je l'ai accompagné un bout de chemin ainsi que CROTEL et, les larmes aux yeux,  je  lui ai donné une  fraternelle accolade lui disant  "Au revoir" en France!

C'est aussi le jour de la dislocation de la colonne:  le Commandant, le Lieutenant LEBAS,   BOISOT, L'interprète GRECH et les Tirailleurs ont quitté Yao pour rejoindre leurs postes respectifs. 2 pelotons, le Capitaine, le Véterinaire et moi attendons pour rentrer à N'Gouri  que la meïrem RAKHIE ait été remise aux mains des Ouadaïens. Crotel reste à Yao où LEBAS viendra le rejoindre avec son peloton. Le sultan du Fitri  nous voit  nous     éloigner avec regret quoiqu'on lui ait boulotté 4 tonnes de mil déjà et pas mal de cabris; il se rassure néanmoins, car je lui dis qu'il restera à Yao  30 spahis et 2 blancs, La meïrem est arrivée ici avec  ses "dames d'honneur" et les boyesses, montée sur un oheval,s.v.p.,bien harnachée, suivie de boeufs porteurs et de bourriquots chargés de dames négresses ayant plus ou moins de race mais toutes également beaucoup de graisse sur la tête et  enfin la série des bagages qui consistent en nattes, calebasses et marmites,   couvertures,   paniers en tous genres, sacs de mil, pots de graisse,  2 ou  3 caisses 'bizarres' montées sur 4 pieds; en un mot, l' ameublement de Madame ! La Meïrem qui est une des femmes du sultan ACYL que nous avons fait prisonnier en Juin dernier est jeune encore , a un physique assez agréable et quelque distinction, non pas dans sa toilette qui est toujours composée du pagne, mais dans sa marche et ses manières: j'ai été "passer" un moment avec elle dans sa case et j'ai remarqué qu'elle savait se  faire servir et commandait ferme Elle est aussi d'une gourmandise ! Elle boulotte du sucre, boit du thé et ne se gène pas pour me demander du riz, du sucre. Elle a été gâtée par les blancs de Fort Lamy; aussi semble-t-elle goûter fort la bonté des Français. Elle parlera beaucoup des blancs à son frère DOUD MOURRAH, 'me dit-elle, et lui dira qu'elle a été bien traitée par eux. Elle  recommande  également de la protéger si nous allons à Abéché !
Elle donne le sein à un petit baémbin de 8 mois, fils d'Acyl. Comme toutes les Ouadaïennes, la meïrem a le contour des lèvres d'une teinte bleuâtre. La chair est percée de petits trousï ressemblant à des piqûres d'aiguille. Je lui ai demandé comment elles s'abimaient ainsi les lèvres,(car ce maquillage n'a rien de flatteur pour le visage) elle m'a répondu qu' elles se piquaient les lèvres avec des épines d' arbres; je connais ces épines pour les avoir vu pénètrer plusieurs fois dans mon epiderme non sans m'occasionner une certaine douleur; elles ont la grosseur d'une pointe et sont affilées comme des aiguilles. C'est avec le même procédé que toutes les négresses se piquent les gencives,  o'est-à-dire qu'elles leur font prendre une couleur bleue.
La meïrem se pare» comme toute femme de  sultan,  mais ses bijoux n'ont  pas beaucoup de valeur;  elle m'a montré des colliers de perles de toutes couleurs (rien du collier de Liane de POUGY) les uns pour la taille, les autres pour le cou, divers bracelets en argent et en cuivre pour la chevillé et le poignet, quelques menus objets do verroterie, pour se mettre dans les cheveux, et l'inévitable petit bâton de corail, d'un rouge vif, de l'épaisseur d' un crayon, long de 3 à 4 cm fait pour se fourrer dans une cavité (pratiquée chez les femmes dès leur jeune âge) sur une face du nez. Elle possède aussi de jolies pagnes de couleur voyante, cadeaux du Commandant et des officiers de Fort Lamy où elle a passé quelque temps.

9bre.  - Départ de la Meïrem à 4 heures du soir avec toute  sa horde d'esclaves, ses boeufs,  ses moutons, un vrai convoi. Trois spahis l'escortent et la conduisent au Médoggo d'où elle sera dirigée sur Abéché: Que pensera Doug MOURRAH à l'arrivée de sa soeur? Attachera-t-il quelque importance à cet acte de clémence du Commandant? C'est peu probable !
Quittent aujourd'hui Yao une centaine de nègres, hommes et femmes, les uns à pied, les au tres à cheval ou à bourricot, portant tout leur matériel de  campement; le tout forme un ensemble bizarre, ressemblant assez à une horde de gens qui fuient en désertant leur village. Ce sont des pélerins qui se rendent à La Mecque, ils marchent ainsi depuis un an et marcheront encore une année ou deux avant d'atteindre leur lieu de pèlerinage... Quelle constance, Seigneur!
27 9bre. - Nous avons eu ce soir après dîner grand Concert,  grand tam-tam par 4 gaillards de nègres,  des Bornouans sujets du fameux NAÏM, l'ex-collecteur d'impôt qui pillait le Tchad. Pardonné par le  Commandant, il est toujours à notre service mais pour les fonctions les plus infimes.   II est parti accompagner la Méïrem. Sa fanfare  restée à Yao est donc venue ce  soir nous écorcher les oreilles, mais ces 4 brayards,   tambourinant,  soufflant dans un vieux piston,  grattant une sorte de  guitare, chantant des louanges aux Français,  où résonnent  souvent les mots de  Colonel,  Commandant,  Capitaine  djoad, (cheval) nous ont bien amusés. II faut bien prendre le plaisir où il est; dans un tel pays,où les distractions n'abondent pas le  soir après le dîner! Le Capitaine les a remerciés avec quelques thalers, ce qui a produit aussitôt un redoublement de  fanfare, une  danse effrénée, et le tam-tam s'est terminé par des Salam-Aleks à notre adresse à profusion.    

"Naçarras same Katir" : "Les blancs sont bons, beaucoup."
28 9bre. -Ce matin, j'assistais au sacrifice du boeuf pour la viande de la journée; j'entendis les spahis discuter ferme parce que celui qui avait tranché  la gorge du boeuf n' avait pas bien tourné la tête de l'animal face au soleil levant. Le temps étant voilé, je leur indiquai exactement l'Est et le boeuf put  examiner à son aise le Levant, tout en expirant... Suprême consolation !

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. C'est qu'il ne faut pas rire des croyances des musulmans (ils appartiennent tous à cette religion  dans la  colonie du Gribingui au Tchad,  sauf vers Port-Arohembault, chez les Corbal, les Gay,  les Kabbas; je leur demandai pourquoi  ils tuaient ainsi leurs animaux. -Ils me répondirent que s'ils mangeaient de la viande d'une bête qui n'a pas été tuée en regardant le  soleil levant, ils mourraient aussitôt , ou, une fois morts, leur corps prendrait feu (sic). Je leur fis remarquer que nous tuions les boeufs de n'importe quel coté,  que nous en mangeons la viande et  que  pourtant ALLAH ne nous faisait pas mourir»  "Oh,!  mais, me dirent-ils, blancs y a pas même chose noire," Qu'ils aient à tuer un boeuf, un mouton ou un poulet,  ils opèrent toujours de la même façon et en tranchant le cou.
29 9bre. - Hier 28, à 6 heures du soir, j'ai quitté Yao, disant adieu au sultan KASSEM, Le brave  m'a dit que je devrais rester avec lui et ne pas retourner en France. J'ai rendu à sa famille  mon épouse HACHÉ; la séparation n'a rien eu de touchant, il ne m'était d'ailleurs pas possible d'amener cette Boulala avec moi jusqu'au Kanem où j'ai déjà la jeune Fatmé comme femme, et surtout parce que nous devons en rentrant à N'Gouri par le Bahr-el Ghazal, razzier tous les Krédas dissidents. Je ne peux donc pas être suivi d'une courtisane en  colonne. Je l'ai donc remerciée en lui donnant tout ce que je possédais : un thaler  (3frs)

Dire  que pour si peu,  j'étais traité en  sultan. Morale: C'est moins cher qu' en France!
Ncus avons passé la nuit- à Borio.  CROTEL est resté au Fitri.

Yao va être sa garnison et celle du  premîer peloton de l'Escadron. AujQurd'hui 29, nous couohonS à Melmé.
1 Xbre.  - Rien d'intéressant à signaler au retour; nous avons suivi le même itinéraire que celui que j'ai suivi à l'aller:|le 30 nous couchions à Assetta et à 9h 1/2  ce matin, nous entrions à Aouni.
2 Xbre.  - Le  Capitaine  fait mander au  camp le  chef Ouadaïen BADJÔUR
pour lui exprimer le mécontentement  du Commandant  parce  qu'il a razzié l'arabe IBRAHIM,   chef soumis, il le met en demeure  de restituer le troupeau enlevé, BADJOUR qui est un malin,  dit qt'il n'a plus rien et ne  rend que 20 moutons.  Le  Capitaine rassure IBRAHIM en lui promettant de  lui envoyer des boeufs sur ceux que nous enlèverons aux Krédas.
BADJOUR est  ensuite  mis au  courant  de  l'ordre  du Commandant qui le sépare des frères d'ACYL et l'envoie avec une partie de ses gens résider au Kanem.  BADJOUR fait plutôt une  sale  tête en apprenant cette nouvelle: quitter Aouni,  cela lui est indifférent, mais se  séparer des frères d'ACYL qu'il tient comme héritier futur du trône du Ouadaï,  cela lui  sourit moins et l'effraie même;  il voudrait des explications, le  Capitaine se contente de lui dire qu'il n'a qu'à prévenir et prendre  ses dispositions pour le départ. Il gardera avec lui une  vingtaine de cavaliers, quelques hommes à pied et les autres Ouadaïens resteront avec les  frères d'ACYL qui rallieront^ Moïto. Nous nous sommes rendus cet après-midi au camp de BADJOUR pour voir l'état de sa cavalerie: 18 chevaux sont en état de nous suivre, quant aux autres rosses, le Capitaine les laisse aux are..

Le Capitaine me charge de conduire cette smala à Moïto, demain avec 15 spahis de mon peloton. Quant à Badjour, il quitte Aouni avec le Capitaine.
4 Xbre. - Je suis à moïto où le Capitaine d'Adhémar, de l'Infanterie Coloniale, qui était avant à N'Gouri commande le  cercle. J'ai été très bien reçu par cet officier, récéption à laquelle je m'attendais d'ailleurs, car le Capitaine d'ADHEMAR est un officier très aimable. Il a été content de me revoir et je l'ai entretenu longuement sur ce qui venait de  se passer au Fitri. J'ai déjeuné et diné avec lui aujourd'hui,  mais à mon grand regret  je  dois le quitter ce soir même, mon Capitaine m'ayant donné l'ordre de me hâter de  rejoindre l'Escadron. J'ai trouvé ici également MILLON, sergent major, LELIA, sergent, le  Caporal français qui étaient avec nous à N'Gouri. Moïto  possède maintenant un vaste camp entouré de fossé et zeriba, où loge environ une  Cie de Tirailleurs. Ce camp avait été fait par LEBAS, Lieutenant de l'Escadron. Le mil ne manque pas dans la région de Moïto mais le bétail fait défaut, aussi le Capitaine d'ADHEMAR compte  s'adresser au Kanem pour le ravitailler en viande.
Les chevaux ont campé auprès d'une superbe mare qui  a encore beaucoup d'eau. J'ai remis au Capitaine du cercle ma troupe Ouadaïens, savoir: MOHAMMED SGHAIROUN et MOHAMMED ZOUBIR, frères d'ACYL, MAÏMOUNA, femme d'ACyL et un enfant, une vingtaine de femmes et  d'hommes et un peu de bétail, toute la richesse de ces deux jeunes frères d'un seultan.  Pauvres jeunes gens qui ont connu la grandeuur et qui, entre nos, mains, n'ont pas un bienheureux sort ! Peut-être un jour, seront-ils plus heureux: si nous  allons au Ouadaï et que nous fassions régner un de  ces deux prétendants.. Tous  les deux ont  de la race: la  figure est jolie, les traits sont fins;le plus jeune a de beaux yeux et le regard très doux; ils ont été doux comme des agneaux pendant le trajet de Aouni à Moïto et marchaient suivant mes ordres. Le premier soir, au soleil couchant, ils m'ont demandé de s'arrêter pour faire leurs prières;  j'ai acquiescé immédiatement. J'avais quitté Aouni le 3 à 4 heures; A 8h, je m' arrêtais pour manger un morceau et laisser manger tout ce mond. Je repartis à 8h 1/2 pour m'arrêter à minuit au village de Sarara que je quittai à 5h le matin du 4 et j'arrivais à Moîto à 10 heures du matin le même jour.
5 Xbre. - J'ai quitté les rochers de Moïto qui  sont plus élevés que ceux de Aouni; ce sont de  vraies montagnes remplies de singes énormes,- le même  soir 4 à 9h 1/2.  Je me suis arrêté vers minuit au petit village d'ABBOUNBOUT,  à 12km environ de Moïto, malgré l'heure avancée, on ne dormait pas au village; la lune était belle et éclairait;  aussi garçons et jeunes filles exécutaient un tam-tam plein de  charme. L'arrivés d'un blanc et de mes spahis a bien un peu troublé  les danseurs, mais aussitôt que les chevaux furent dessellés, soignés et attachés aux piquets, mes hommes, oubliant qu'ils avaient sommeil allerent entourer danseurs et danseuses, les saluant de leur sabre au clair en le brandissant au-dessus des têtes.  Le geste guerrier fut très apprécié par les habitants du village, aussi la grosse caisse redoublas, la danse reprit de plus belle avec accélération dans la mesure et plus d'excentricité dans les contorsions du corps. Ma fois, je m'approchai aussi pour admirer les jeunes négresses souples, à demi nues, faisant avec leurs bras et leurs corps, des gestes très gracieux et très suggestifs;  je  crois bien que je suis resté là plus d'une heure, oubliant que ma litière était prête (de la
paille, une natte par dessus, un bon feu à côté} car les nuits sont froides. C'est mon boy ALi qui me tira de là dans son français de petit nègre: "Lieutinant, toi y en a pas aller coucher. Je me rendis à cette sage injonction, laissant encore là quelques spahis qui trouvaient la partie  bonne et le clair de lune engageant et je m'approchai de ma natte;   je  trouvai le chef du village  qui m'attendait  pour me  saluer; à coté de lui, un boy
tenait un petit mouton à la main; deux ou trois calebasses étaient posées à terre<;  Je  remerciai mon homme de  ses largesses et le priai de se retirer pour me laisser dormir. Il paraît qu'il n'avait pas  sommeil, car il se mit  à commencer un discours en  s'adressant  à mon boy qui, fixé lui aussi sur ce qu'il allait entendre, lui disait de ficher le  camp. Je ne l'écoutais pas,  car je  savais d'avance  ce qu'il me racontait. Tous ces noirs sont les mêmes, ils vont chercher des faits éloignés d'une  dizaine  d'années, parlent de  leurs ennemis, des vols qu'on leur a commis il y a très longtemps, se plaignent de la misère,  du peu de mil (alors que  leurs silos en sont remplis) etc.,  etc...tout  cela pour nous dire  qu'ils sont contents de voir les blancs (ce  qui est  faux), que  les Naçarras sont les sultans du pays, eux ne  sont que des mesquins, ce  sont les blancs qui commandent  tout  et le  palabre  continue   sur ce ton Jésuitique ! Ils semblent nous peloter, mais dans leur for intérieur, ils voudraient nous voir sous cent pieds de ... sable ...
Je ne dormis pas longtemps car bien avant cinq heures,je donnai le signal du départ
-Dans l'étape d'Abdounbout à N'Gourra j'eus le plaisir de  voir un troupeau de girafes (une- dizaine au moins) mais le regret de ne  pouvoir leur ficher un coup- de- fusil tant elles détalèrent avec rapidité quand elles virent mes cheveaux. C'est curieux de voir galoper aussi vite  dans un terrain boisé, des animaux aussi grands et emmanchés d'un aussi long cou.

Je suis arrivé à N'Gourra avant 9h, retrouvant encore ici quelques rochers mais bien moins hauts qu'à Moïto. A mon arrivée le  chef du village m'amène un homme à cheval,porteur d'un courrier. C'est le Capitaine DURAND qui m'écrit de le rejoindre à Aboukoakib le 6. Je campe donc ici aujourd'hui, je oommande de l'acidé pour mes spahis, je  leur fais tuer le mouton que l'on  m'a donné cette nuit. Mon boy ALI part au village se mettre en quête d'un poulet et de quelques oeufs pour mes repas du jour avec quelques côtelettes de  cabri, celà fera 1*affaire. Il me reste encore une bouteille de vin (le Capitaine d'ADHEMAR à Moïto m'ayant obligé aimablement de boire le  sien)  tout cela aidant,  je vais faire une sieste de plusieurs heures pour réparer les dernières nuits fortement  ébréchées par les étapes et passer ici une journée bien tranquille. Je fous la paix à mes spahis qui doivent avoir besoin de roupiller.  Les chevaux sont à l'abreuvoir, auprès des puits profonds de N'Gourra d'où les bonnes femmes puisent de l'eau (25 à 3om de profondeur), ils vont manger leur mil et cette nuit quand la lune se montrera et que  tous seront reposés, je donnerai l'ordre du départ, afin d'arriver à Abou-koakib, qui est à 3 heures de marche de N'Gourra, au lever du soleil en évitant la chaleur.
6 Xbre.  - Parti de N'Gourra cette nuit, au lever de la lune, je suis arrivé à Aboukoakîb, avant 6 heures. Tout le monde dormait au campement;... le Capitaine et  le Veterinaire  se sont levés quand le soleil a commencé à chauffer. Je me suis allongé sur une natte  auprès du feu en arrivant,  tant j'étais gelé ;il a fait un froid de loup cette nuit, et pendant l'étape, j'ai, marché à pied assez longtemps pour me  réchauffer. Mes pauvres spahis, à peine vêtus (l'Escadron ne possède encore  aucun  effet militaire) se faisaient petits sur leur selle et disaient : "Bardail, katir" (froid, beaucoup) . Renseignements pris sur les Krédas du Bahr-el-Ghazal et sur la route à suivre pour les atteindre, le Capitaine décide de partir ce soir vers 6heures. Nous formons maintenant une colonne assez imposante: 2 pelotons de l'Escadron, une vingtaine de cavaliers ouadaîens armés avec leur chef BADJOUR, et autant de cavaliers Boulalas sous les ordres de leur sultan TCHÊROMA, armés de fusils 74 et de sagaies, qui sont venus saluer le Capitaine à Aouni.,et qui, naturellement, ne demandent qu'à le suivre du moment qu'il s'agit d'aller razzier...
BADJOUR & TCHEROMA ont leurs drapeaux (bireck):  du rouge, du blanc, du jaune, une sauce de couleurs bizarres ,  quoi! 
Avec celà, toutes les femmes, les enfants, les troupeaux de la suite de Badjour qui nous suivent aussi pour aller s'établir au Kanem.
7 Xbre. - Nous avons franchi hier une longue étape:   31 kilomètres de Aboukoakib à l'oasis de Ambahat. Nous avons couché à 18 kilomètres d'Àboukoakib , en un point appelé Khatma  (pas d'eau.  Cette oasis ne nous est pas inconnue, nous passâmes ici au mois de Juin dernier en rentrant du Deba- j'étais dans ce lieu mêmne encore souffrant. Nous avons vu sur le parcours  la montagne de SAYÀL. Dans l'oasis, nous trouvons de l'eau dans de grandes citernes. La Végétation n'est pas en ce point très fournie, il n'y a que des rôniers,  des hyphènes et une paille jaune.
Nous couchions ce soir dans l'oasis MereK à 8km de Ambahat .
Ici le terrain est nouveau pour nous et je crois aussi que c'est nous qui ouvrons cette route (route non tracée, c'est-à-dire que nous suivons un vague chemin que prennent seuls les Krédas, notre guide est un des leurs, un mécontent qui veut jouer un vilain tour à ses compatriotes). C'est le pays des fauves par excellence; dans l'oasis à notre arrivée nous  sommes surpris et contents de voir devant nous, s'abreuvant aux cuvettes remplies d'eau, deux beaux lions de haute taille; un rhinocéros. Un coup d'oeil, tableau plus merveilleux nous attendait à la sortie de l'oasis, en descendant de cHeval sur la crête voisine pour y camper. c'était un gros troupeau d'éléphants que notre arrivée avait inquiété et que la végétation épaisse de l'oasis avait caché à notre vue.  Là, sur la côte, nous les vîmes bien évoluer en tous  sens, en bon ordrë, un énorme éléphant placé devant dirigeait la marche, et gros et petits  suivaient en trottant. Puis, rassurée, toute cette masse conversait, et revenait près de l'eau où nous avions vu lion et rhino.  J'ai eu une grande joie à la vue de ces fauves mais j'ai eu aussi un bien grand regret, car j'ai manqué une chasse unique,
une chasse rare: je voulais tirer le lion dont  je voyais fort bien la tête sortir d'un fourré où il s'était réfugié mais le Capitaine m'interpella, me voyant approcher:  "Faure,   je vous défends de tirer". Jamais obéissance ne me pesa plus qu' à ce moment là. Le Capitaine m'a dit ensuite qu'il n'avait pas voulu que je tire un coup de fusil, parce que nous devions être dans le voisinage des Krédas, l'ennemi. C'était une raison.
Quant aux éléphants, autant que je pus m'en rendre compte, ils n'ont pas de belles défenses,  celles-ci  sont  courtes; ils ne sont donc pas riches en ivoire comme les éléphants du Congo; cela doit tenir à la Nourriture  qu'ils ont dans ce pays et surtout au manque d'eau.  Tous nos hommes,  ce soir ne descendent dans l'oasis pour y  prendre de l'eau que bien armés, le lion principalement (basch) effraie  le noir. L'eau est infecte dans les  trous,  les éléphants en s'approchant pour y boire bnt avec leurs pieds énormes fait ébouler la terre; Ce n'est que de la boue, de plus, dans un autre trou, se trouve le cadavre d'un petit éléphant. Tout celà dégage une odeur. Je recommande à mon boy de choisir ce qu'il y a de mieux pour remplir ma ....Tout autour de nous; au loin, nous apercevons des feux. Serions-nous bien près des campements des Krédas? Nous faisons  nous aussi  de grands feux pour éloigner les fauves;               
- Du 7 au 15 Xbre,   il m'a été impossible de rédiger mon journal;
une succession de faits militaires, de marches longues et pénibles ont pris toutes mes heures. Nous dormions peu la nuit et il fallait avoir l'oeil.                                
Nous quittâmes donc l'oasis le 8 à 6 heures du matin pour gagner une autre oasis appelée par les indigènes "ouadi delep", du nom du fruit du ronier, arbre très élevé en cet  endroit;  Ce fruit plus gros qu'une  "grenade"  mais ayant  cette  forme est filandreux et rafraîchissant;  j'y ai goûté,  mais je ne  l'ai  pas trouvé très bon.  Il faudrait  creuser dans cette  oasis pour avoir de l'eau, les trous sont  comblés! Une riche végétation formée de beaux arbres, de hautes herbes vertes,  d' épais fourrés couvre l'ouadi delep. A 11h , nous atteîgnîmes  l'oasis aidjelije; à 24km de l'Ouadi Mereck doit son nom également à un arbre qui porte ce fruit. L'oasis en est remplie, l'aidjelije  est un fruit  de petite dimension, mais d'un goût agréable. Nous avons campé le 9 dans cette oasis. Végétation très nourrie et sauvage, qui rend l'ouadi presque impénétrable: il nous faut briser des branches pour nous frayer un passage. Tout dans  ce  lieu de verdure et de  fraicheur a une beauté sauvage, on éprouve la sensation de traverser des pays inconnus où peu d'Européens,  peut-être point du tout n'ont jamais passé. J'ai eu comme un frisson d'admiration pour ces refuges des fauves où l'être humain n'apas encore pris sa place. Des singes sautent d'arbre en arbre au dessus de nos têtes . Enfin dans cet ouadi encore,il nous fallut creuser les citernes ; l'eau y abonde mais pour en avoir suffisamment pour abreuver nos chevaux et pour puiser une eau tant soit peu propre, une vingtaine d'hommes furent employés à sortir la boue qui comblait les trous. Ce travail demanda plus de trois heures. Nous eûmes de l'eau à peu près potable pour la journée. Le 9 à 3h du matin, nous quittâmes l'ouadi aidjelije. Nos auxiliaires nous éclairaient pendant la marche, nous faisions de fréquentes haltes, car des traces de troupeaux étaient remarquées de ci de là, nous venions de traverser d'ailleurs un carré de mil; endroit nommé El Kenez, à 10 km de l'Ouadi Aidjelije. Des krédas avaient donc habité par là il y a très peu de temps. Des éclaireurs allaient et venaient, observaient quand ils arrivaient sur des plateaux, ils signalèrent bientôt au Capitaine la présence d'un fort campement habité non loin de là;Il était près de 7h du matin quand nous trouvâmes un puit en bon état à 3 km d'el Kenez. Puis nous débouchâmes bientôt dans l'ouâdi 0uagga .Là,  à 1500m devant nous, nous aperçumes un grand campement établi  sur le plateau dominant. Les  deux pelotons sur le commandement du Capitaine Commandant, se  formèrent en  colonne _ j'étais en tête avec le 3°; les spahis mettent haut l'arme; ;les auxiliaires sont sur les flancs et nous tombâmes tous ainsi au galop au milieu du campement. Des coups de  fusil sont tirés,-la surprise était complète et de toutes parts des Krédas _ la plupart montés,  s'enfuyaient.  Le Capitaine me détacha avec mon peloton sur la gauche,  où filaient hommes et troupeaux tandis que lui, avec le 2° peloton,  qui n'avait qu'un Maréchal des Logis indigène, descendait l'autre versant du plateau et poursuivait sur la droite. Les auxiliaires furent chargés de saisir les troupeaux; les femmes et enfants quï ne pouvaient fuir tombaient à terre , derrière n'importe quelle touffe d'herbe, baragouinant les mains jointes quelques supplications. Je les laissais tranquilles et, comme toujours ën pareil cas je recommandais à mes hommes de ne pas faire le feu sur les femmes et enfants; Je poursuivis pendant près de 5 ou 6 kilomètres les Krédas qui, bien montés par des cheVaux non fatigués, m'échappaient facilement; néammoins plusieurs d'entre eux furent démolis par les balles de mes spahis qui tiraient de près et de loin.
D'autres, tombant de cheval dans cette course effrenée, étaient vite couchés à terre par les spahis qui ne voulaiant pas en laisser derrière nous. Mais je dûs m'arrêter après 5 ou 6 kilom. de poursuite, non pas parce que mon cheval en avait assez, mais parce que je m'aperçus que  sur 18 hommes de mon peloton,  5 seulement me suivaient .  J'avais semé les autres dont les chevaux fatigués ne pouvaient plus donner. Je  dus  reconnaître  ce  jour-là que les Krédas avaient de bons chevaux et  qu'ils étaient surtout en bon état; quant à notre cavalerie,  elle était inférieure après une colonne qui durait déjà depuis 50 jours. Il resta entre mes mains une jument et quatre chevaux. Je retournai donc sur mes pas avec mes cinq spahis et peu à peu les autres arrivèrent, tous chargés de sagaies que des Krédas nous lancèrent sans atteindre aucun de nous. Ën rentrant au campement, je ne trouvai pas le Capitaine et j'entendis dans la direction de MASSOUAH, où il était parti avec le 2° peloton, des  coups de fusil. Je restais là pour mettre de  l'ordre;  tout était sans dessus  dessous dans le campement, les boys empaquetaient tout ce qui leur tombait sous la main. Les auxiliaires rentraient aVec les troupeaux saisis,  je fis réunir,  boeufs, moutons,  chameaux,  ânes chevaux et je fis charger sur chameaux et boeufs tout le mil trouvé dans les cases et  dans les silos ainsi que les peaux d'animaux dont les cases étaient pleines et enfin, tout  ce qui pouvait avoir  quelque utilité pour l'Escadron. Comme touiours, pas de richesses chez cet ennemi en dehors du mil et du bétail; on n'y trouve ni étoffe, ni armes ni munitions, ni aucun objet de quelque valeur. Les femmes des Ouadaïens auxiliaires qui arrivaient avec le convoi et nos boys, se chargèrent de balayer la place en emportant les pots de graisse, les calebasses, marmites et autres saletés de ce genre. Le Capitaine rentra une heure après moi au campement avec MAIRE,  mais il ne ramenait pas tout son peloton; le Maréchal des Logis indigène NAMAKETA avec 6  spahis s'était éloigné et fut aux prises avec des cavaliers du djerma YOUSOUF, le chef de cette tribu des Krédas, qui  s'est enfui à l'annonce de notre arrivée.
Il fit plusieurs feux de  salve,  ayant dû mettre  pied à terre. Il nous apprit cela en rentrant à 11 heures au campement.
Lui et les auxiliaires nous apprirent  que d'autres campements existaient dans la direction de Massouah et que le djerma YOUSSOUF était réellement dans les parages, mais comme nous avions environ 2000 moutons et plus de 7 à 800 bêtes à corne, 50 chameaux, butin très gênant à ramener, que nous étions loin du  Kanem et nos chevaux fatigués, le Capitaine ne se décida pas à aller attaquer les autres campements. De part et d'autre, par les deux pelotons et par les auxiliaires, l'ennemi avait eu un assez grand nombre d'hommes tués et blessés: de notre côté, 2 spahis étaient blessés, l'un assez grièvement- Un auxiliaire Ouadaïen, frère de BADJOUR, était tué, 2 auxiliaires blessés et 4 disparus ou tués.

Nous prîmes sur place un léger repas; morceau de viande froide, boite de thon et une goutte de tafia; c'était la fin
de nos vivres car nous étions alignés ju'squ'au 10; il y aurai donc serrage jusqu'à N'Gouri. Heureusement que la viande ne manquai pas et qu'il restait du biscuit.
Nous n'avions pas acevé ce maigre repas que nos vedettes nous signalent des cavaliers Kredàs sur les plateaux environnants. Ils étaient nombreux, le Capitaine m'envoie avec mon peloton pour les déloger. Je partis au  galop, ils me laissèrent approcher et aux premiers coups de fusil détalèrent vivement.. Je profitai d'une crête élevée pour leur envoyer quel-
ques feux de salve; Le Capitaine me rejoignit avec quelques spahis,  les Krédas s'étaient arrêtés sur un plateau situé à 800m environ de nous; le Capitaine commande des feux de salve à cette hausse.  Quelques balles vont tuer des chevaux,  les autres se sauvent aussitôt!                                       
Nous rentrons au campement pour repartir à 12h 1/2;  le 2° peloton ouvre la marche,  les troupeaux marchent derrières  flanqués à droite et à gauche par des auxiliaires, les blessés sont mis sur des chameaux qui marchent après le troupeau et, en arrière-garde le 3° peloton que je commande. Mais les krédas n'ont pas dit leur dernier mot, il leur en coûte gros de voir partir leurs troupeaux, aussi reviennent-ils plus nombreux encore, pour harceler la colonne et tâcher de reprendre du bétail; Ils  se. montrèrent même très audacieux, traversèrent  la colonne, tombant surtout sur les auxiliaires, fort occupés à garder les troupeaux. Ils semèrent le désordre dans la marche, mais ils reçurent encore des coups de fusil. L'avant-garde, les spahis du convoi, tiraient  continuellement. A maintes reprises, serré de près sur mes derrières et forcé de ralentir ma marche pour ne laisser ni un homme ni un animal derrière moi, j dû faire du combat à pied; mes feux de salve avaient seule raison de  l'audace des Krédas qui n'ont pas cessé de nous suivre jusqu'à 4h du soir, heure à laquelle le Capitaine  nous donna l'ordre d'arrêter . Une mare était près de là. Nous campames pour passer la nuit. Une zériba immense fût faite pour renfermer hommes et animaux et l'abreuvOir se fit par groupes car les Krédas paraissaient décidés à ne pas nous quitter encore. Ce fût la journée du 9 Décembre à Ouagga. Nous campions à 3 heures de marche (mais de marche au pas des moutons), du lieu du combat.
L'eau de la mare était boueuse et plutôt verte. Elle dût pourtant me calmer la soif, ce jour-là: car 12 heures de  cheval en avalant de la poussière et par une chaleur ardente m'avaient fort altéré. Heureusement que dans la soirée je bus du lait à satiété, les vaches et les chèvres ne manquaient pas dans la zériba.
Spahis, auxiliaires,  boys, femmes, tous remplissaient  de grandes calebasses de lait et mangeaient de beaux gigots de mouton. II en fut tué, cette nuit-là, de pauvres cabris ! Nous ne dormîmes pas tranquilles cette nuit pourtant,  car les coups de fusil éclataient dans la nuit noire pour éloigner les Krédas qui rodaient autour de la zériba,  jetaient des appels continus à leurs boeufs, en espérant que  ceux-ci iraient à eux; il est de fait que  ces bonnes bêtes se remuaient fort et mugissaient en entendant les cris de leurs maîtres. Plusieurs factionnaires étaient répartis autour de la zéribà et le Capitaine, le Vétérinaire et moi,  nous prîmes le quart à notre tour. Les spahis couchèrent en dehors de la zériba, l'arme au poing, et faisaient feu quand le factionnaire signalait l'approche des Krédas.
Au petit jour, on n'en vit plus aucun  puis vers 9 heures,  des groupes nombreux se montrèrent encore  sur les crêtes environnantes Le Capitaine fit éxecuter plusieurs feux de  salve,à 600m, à 800m, sur les groupes, parmi lesquels, parfois un kréda blessé roulait de son cheval. Nous les tînmes ainsi toute la matinée à une distance respectable ; A une heure, après avoir mangé quelques côtelettes de cabri, (il nous restait heureusement un peu de sel, encore un peu de café), et bu encore de l'eau de la mare aussi sale que la veille, nous quittâmes la zeriba. Je fus en avant-garde ce jour-là, le troupeau me suivait flanqué des auxiliaires, et le Capitaine resta à l'arrière-garde avec le 2° peloton. Je fis halte  à 4h 1/2 sans avoir vu un seul Kréda. Je choisis un emplacement convenable et je fis couper aussitôt des branches d'arbres pour commencer la zeriba.  Je pensais bien que la queue de la colonne, qui avait une profondeur de 3 ou 4 km- et cela dû à la marche  lente des troupeaux - n'arriverait  que vers 7 heures du soir. Nous marchâmes vers l'Ouest, toujours même terrain de sable, ça et là quelques arbres invariablement les mêmes; les reniers ou des hyphènes nains, l'arbre rouge  et résineux, le mimosa épineux; des plateaux et des cuvettes complètent la physionomie peu changeante  du  sol. Le guide, ne put me dire s'il y avait de l'eau à proximité, nous dûmes nous en passer ce soir-là, et les animaux ne furent pas abreuvés. De loin en loin, des fractions de la colonne arrivaient et il était déjà fort tard quand le Capitaine apparut avec l'arrière-garde. 11 eut maille à partir encore avec l'ennemi, qui refit le même  manège que  la veille. Il manqua ce soir-là quatre Boulalas auxiliaires disparus.  Les blessés ne purent être pansés faute d'eau;  la veille, le vétérinaire les avait soignés avec l'eau boueuse de la mare.
Nous crevions de soif, ce soir-là, en dînant de quelques morceaux de viande ,de mouton et de biscuit ;  je ne pus achever de manger, le lait ne me désaltérant  pas du tout. J'avais  la gorge .sèche et je me couchais ainsi. Nous ne fûmes pas dérangés cette nuit-là par les Krédas qui avaient renoncé enfin à s'attacher à nos trousses, maiS les boeufs, les veaux, les moutons nous empêchèrent de dormir.- Affamés, ces animaux qui, poussés pendant toute la journée, n'avaient pas mangé la rare paille de la brousse faisaient un potin infernal et plusieurs d'entre eux me boulottèrent toute la nuit la botte de paille sur laquelle j'étais couché; je n'arrivais pas à les chasser,  j'en avais toujours deux ou trois sur les pieds.
Le 11, à 5 heures, nous quittions le campement à la recherche d'une mare. J'étais resté à l'arrière -garde; quelle ne fut pas ma joie quand un cavalier vint m'apprendre qu'il y avait tout  près de là beaucoup d'eau, et que la tête de la colonne  s'était arrêtee pour abreuver hommes et bêtes.  Je pressais l'allure et avant six heures,  j'arrivais en effet  devant une  superbe mare large de près de 10 mètres et longue de  500m environ. Mettre pied à terre, débrider et à l'eau fut l'affaire de quelques instants et en m^mee temps que chevaux, boeufs et chameaux, j'entrai dans la mare et je bus avidement de cette eau relativement propre et bonne, les tonnelets furent remplis, les chevaux se baignèrent et, ma foi, le coin était si coquet, si ravissant, avec cette eau courante entre deux rives garnies de grands arbres que le Capitaine Commandant décida de camper là et de ne repartir qu'à deux heures.
J'en profitai, et le  Capitaine, MAIRE, firent comme moi, pour prendre un bain.
C'était une opération de tpute nécessité, car depuis quatre jours, nous ne nous étions pas lavés; nous étions noirs, recouverts de sable et de sueur. qui nous laissaient surla peau de larges taches et des mains... fallait voir !!!

Ainsi retapés, la matinée fut agréable. Nous mangeâmes de la viande de boeuf, ayant le temps de cuisiner. La veille, le cuisinier nous avait servi des rognons... blancs, tant ils étaient recouverts d'une couche de terre que l'eau avait déposé pendant la cuisson. Oh ! ces rognons !  nous dûmes demander au cuisinier ce qu'il nous servait, tant ils étaient méconnaissables.
L'eau avait été si mauvaise et si sale pendant ces derniers jours que plusieurs spahis me racontaient "Mon lieutenant, moi y en a pas moyen de faire cabinet". Pour mon compte, ce fût l'inverse: cette nuit-là, je fus pris de coliques et je constatai que mes selles étaient formées d'une matière terreuse et blanche. Souffrant de la soif, je ne pouvais me retenir de boire l'eau sale, tandis que les noirs boivent très peu quand l'eau ne leur plait pas.      

                                                                       
Nous  étions le 11 en plein Bahr-el-Ghazal, l'existence de cette mare  superbe,  presque un bahr non desséché puisque le lit se dessinait nettement nous  indiquait qu'il y avait eu beaucoup d'eau pendant cette saison des pluies. Aussi  les Krédas occupent le Bahr-el-Ghazal où ils peuvent abreuver leurs immenses troupeaux,  car le bétail est leur seule richesse,  et ils sont les maîtres de cette région non habitée qu'ils parcourent en nomades et que fuient les autres tribus de noirs parce elles craignent les Krédas qui ont dans le Kanem et le Tchad, une réputation de guerriers et de pillards. ..........................


C'est la quatrième fois avec l'Escadron que nous battons les Krédas, que nous leur enlevons campements et troupeaux. Nous les avons toujours atteints chaque fois que nous avons marché contre eux. Une partie de la tribu, les Krédas du chef GARNASCO a fait sa soumission, mais ceux du djerma Youssouf se soustraient encore à notre autorité.

C'est une race de pillards; ils volent tout le bétail qu'ils possèdent dans les villages éloignés des postes français, du Kanem, du Tchad, du Dagana, du pays Kouka etc... Un boy de spahis, un kréda qui fut pris en mars dernier et qui resta avec l'Escadron, heureux de son nouveau sort, puisqu'il a marché cette fois-ci avec nous  et qu'il n'a pas oherché à rejoindre sa tribu, ce jeune kréda d'une quinzaine d'années me racontait que tout jeune, les siens l'avaient  initié au rapt du bétail; ils allaient ainsi, parcourant la brousse et, par surprise,  se glissaient derriere les gardiens lorsqu'ils voyaient des boeufs, les ligottaient ou les tuaient et ramenaient le butin au campement.
Nous quittâmes la mare  à 2 heures.  J'étais à l'arrière-garde, mai je ne  fus plus inquiété,  les Krédas avaient disparu. Vers 6h, je  reçus un mot  du Capitaine qui avait déjà établi le campement  en avant  et  qui m'invitait à rejoindre la tête de colonne si  je jugeais que ma présence  à l'arrière-garde n'était plus indispensable. Je laissai 8'spahis à mon Maréchal des logis indigène et je pressai l'allure.  J'arrivai ainsi  à 7 heures au campement. Une zériba l'entourait déjà, le-Capitaine étant arrivé depuis fort longtemps. Ce jour-là, je semais sur le trajet une  cinquantaîne de petits cabris et petits veaux qui ne pouvaient plus suivre (de la pâture pour les fauves) Nous n'avions pas d'eau ce soir-là c'est-à-dire pas de mare mais l'eau de nos tonnelets nous fût utile. (15 km environ de marche)
A 5 heures du matin, le 12 Xbre, nous partions, quelques spahis seulement à l'arrière-garde et nous nous arrêtions vers 8 heures dans une ouâdi ou existaient encore plusieurs petites mares. Nous y fîmes la halte repas et nous reçûmes en cet endroit  la visite d'une cinquantaine de  cavalièrs Krédas soumis du  cheik ABA.  Ils exécutérent une fantasia devant  nous. Aussitôt BADJOUR se joignit avec ses cavaliers et TCHÈROMA avec les iens, "bireks" déployés pour rendre les honneurs. Le Capitaine nous fit monter à cheval pour saluer à son  tour les Krédas. Ils avaient de jolis chevaux en fort bon état, dont quelques-uns surtout auraient  bien fait à l'Escadron.

A 2h, nous nous remettions en route, 6 spahis restaient à l'arrière-garde.- Vu ce jour-là un village du Kanem à notre droite,-le premier depuis six Jours. Nous campions cette nuit-là auprès d'un campement d'Arabes, les Tadjen, établis à coté d'une mare. Nous fimes encore une zéribà et pendant la nuit, nous eûmes les boeufs et les moutons à côté de nous qui mangeaient notre litière. Je reposais bien mal depuis quelques nuits, le froid et ces bestiaux me privaient  de  sommeil, je  passais de longues heures à me chauffer à côté    des    feux.  Le matin du 13, MAIRE partit avec les blessés afin de pouvoir mieux les soigner à N'Gouri.  Le Capitaine et moi, nous passâmes la matinée à partager les prises entre les chefs de nos auxiliaires BADJOUR, TCHEROMA et en faisant la  plus grande part pour le  Service Colonial, nos prises revenant à son budget. A 2h, nous partions pour ATAïT  à 16 kilomètres de là, grand village. Nous passâmes la nuit dans la cuvette au pied du village où sont deux grands puits d'eau potable. Nous pûmes enfin se soir-là manger du poulet et des oeufs et boire de l'eau claire. Il était temps que l'on se rapprochât de N'Gouri,   car le biscuit  commençait  à faire  défaut.        
Le 14, nous partîmes d'Ataït à 5 heures 1/2 et nous nous arrêtâmes après 4 heures de marche à KOULIDROUM: grand village, puits à fort débit d'eau.  Le Capitaine m'a quitté à 2 heures de l'après-midi, pressé qu'il était de regagner notre poste, MAIRE qui est à N'Gouri depuis ce matin m'a envoyé immédiatement un peu de vin et de tafîa, du sel et du café. Ce fût une bonne affaire. Je restais seul ce  soir-là, mais je fis un bon dîner car je bus une large ration de vin, une non moins large de tafia et je bus du café. Tous ces extras étaient rares depuis une huitaine de jours, aussi furent ils fortement appréciés par moi.  De plus, il fût joint à cet envoi mon courrier, reçu de France. J'eus la joie également de lire de bonnes nouvelles des miens. Je terminai cette soirée en compagnie d'une jeune négresse, assez dodue, ma foi,- une captive Banda perdue chez les Kamembous qui accepta volontiers l'hospitalité sous ma case !
Je dormis bien, tout à la joie de rentrer le lendemain à N'Gouri, d'y  retrouver mon habitacle, un peu plus de bien-être qu' en route et surtout de la propreté et des amis. C' est donc après 52 jours de oolonne que, le matin du 15 Décembre, je  rentrai à N'Gouri. PLOUCHART & SEVAT  se portaient bien,  SEVAT, le trompette était retapé, après l'accès de "bilieuse qui l'avait terrassé  à Massakory,  2 jours après notre départ pour cette colonne. La case de CORNUT, voisine de la mienne,  était vide, mon ami FRED voguant à cette heure sur les eaux du Chari pour le retour en France !
Le fin de Déoembre, fin de l'année 1903, s'est  écoulée dans l'existence de la vie au poste; mais pas dans une tranquillité parfaite car à l'Escadron, les classes, l'instruction n' ont pas de fin. Notre Capitaine Commandant goûte un certain plaisir à nous faire pivoter comme en france,  c'est ainsi que tous les jours, j'ai une séance de classes à pied et a cheval, le service de  semaine à tirer plus sérieusement qu'en garnison. Bref, je suis à toutes les sauces; je fais des classes  à 4 spahis !
Je ne suis pourtant plus brigadie" mais bien Sous-Lieutenant.