Le soir tombe déjà, ...
Le soir tombe déjà , dépêchons nous , mon Père ,
Les blés sont mûrs , les moissonneurs sont engagés
Déjà leur long troupeau s'avance à pas pressés ,
L'épi se courbe vers la terre .
Vite , ... emplissons nos sacs , la récolte est prospère .
Moi , l'inutile ouvrier , je m'affaire toujours ,
J'ouvre les bras , je veux tout prendre et tout étreindre ,
Pourtant , sans y songer , c'est vers toi que je cours ,
Quel vent m'affole ainsi ! Seigneur , que puis-je craindre
En m'appuyant sur ton amour !
Je prends , de-ci , de-là , j'empile , je dérange ,
Les sacs après les sacs , les voici , tout est plein .
- Regarde mon butin , faut-il que je le range ?
- Attends , je voudrai voir la qualité du grain .
Ferme la porte de la grange .
- Mon Dieu ! voici , j'ai peur ... Ah ! ne sois pas trop dur
Pour le mauvais ouvrier qui fit si mal sa tâche ,
Qui si souvent rêva dans des chemins peu sûrs ,
Cueillant partout sans regarder ce qu'il arrache ,
Et sans voir si le grain est mûr .
Tiens , j'ai tout mis , le bon , le mauvais , le passable .
Au champ j'ai pris ces fleurs à côté des épis .
Je sais que bien souvent j'ai construit sur le sable ,
Et que tout a croûlé , mais que tu m'as permis ,
D'encor recommencer de façon inlassable .
Je sais , je sais , j'ai butiné partout , sans trêve ,
Des cigales mes soeurs , écoutant les chansons ,
Marchant sans but , tombant , m'accrochant aux buissons .
Pardonne ... et prends ce sang qui coule de mon rêve ,
Dans ces coquelicots qui jonchent ta moisson .
Je sais , j'ai pu gâcher mes jours et mes années ,
En repoussant bien loin cette goutte de fiel
Que ton amour mettait au bord de mes journées .
Mais vois ! ... là ... tout au fond , cette douce rosée ,
Le bleu de tes bleuets , et l'azur de ton ciel .
J'ai tant voulu , Seigneur , que ta moisson soit belle ,
Tant respiré d'espoir dans ces roses d'un jour ,
J'ai tant mis de mon coeur dans ces nids de velours ,
Que sont tes myosotis au souvenir fidèle ,
Puis , je t'ai mis tout l'or dont ces boutons ruissellent .
Prends tout celà perdu dans la blondeur des champs .
Tout celà , ce fut toi qui l'épandis sur terre
Qui mis dans nos jardins cette joie éphémère ,
Des fleurs , des papillons , des oiseaux et des chants ,
Et l'unique senteur d'un matin de printemps .
Voilà ! je t'ai tout dit . Mon Dieu , juge ma cause
Toi qui mis ton azur sur les petits ruisseaux ,
Qui fis chanter le vent courant dans les roseaux
Et mis tant de bonheur épars sur toute chose .
Ah !... ne m'en veux pas trop d'avoir cueilli tes roses !